L'ours polaire

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Constantinople 1453, la vraie histoire : Arrière-plan et forces en présence

Prise de Constantinople (1453) 3 

 

Au début de l'année 2012 est sorti un film Turc, "Fetih 1453" ou "Constantinople" de Faruk Aksoy. Il s'agit d'une superproduction de grande ampleur qui a connu un grand succès en Turquie, car sa sortie coïncide avec un renouveau d'intérêt en ce pays pour la période Ottomane. 

Pendant longtemps, cette dernière a été vue comme une époque décadente relativement à la République Turque, mais la nouvelle donne géopolitique dans la région a changé cela. Le problème est que ce film donne une image faussée et partisane de la chute de Constantinople. Recevant l'approbation des milieux nationalistes turcs et des intégristes musulmans, il a indigné les grecs, troublé bien des pays occidentaux, et des historiens turcs ont eux mêmes relevés et critiqués les incohérences et les travestissements historiques du film. 

L'intérêt que j'éprouve pour l'histoire de ce que l'on appelle par approximation "l'Empire Byzantin" et le fait qu'histoire doit rimer avec objectivité m'a incité à commettre cet article. 

S'il déplait aux nationalistes et extrémistes turcs et grecs, j'en serai heureux, car cela signifiera que je serai parvenu à l'objectivité que je recherche, car en l'affaire il n'y a ni camp du "bien", ni camp du "mal". Mais, avant d'aborder la partie proprement historique, penchons-nous d'abord sur le corps du délit. 

 

a) Le film. 

 

Ce dernier débute à l'époque de la prédication de Mahomet. Un prophète, Abu Ayyub Al-Ansari raconte aux gens autour de lui que la ville de Constantinople, la Seconde Rome, sera conquise par une armée et un commandant béni par Allah. 

Puis l'action nous emmène à la cour impériale Ottomane à l'arrivée au pouvoir du jeune Mehmed II en 1451. Ce dernier forme le projet de s'emparer de Constantinople, capitale prestigieuse d'un empire chrétien orthodoxe moribond. La Papauté Catholique s'en inquiète, mais malgré les avertissements de son ministre Lucas Notaras, le Basileus Constantin XI est persuadé de l'incapacité du jeune souverain turc à mener une telle entreprise et même à gouverner. 

Mehmed s'assure de la paix avec ses voisins, puis, après quelques péripéties, il prépare une armée et une flotte pour s'emparer de Constantinople. Enfin, il fait construire le fort de Romeli Hisar pour bloquer le passage vers la Mer Noire et entame le siège de la cité. Celle-ci tombera le 29 mai 1453 après deux mois de siège, sans avoir reçu le moindre secours de l'Occident. 

La qualité cinématographique du film, qui est le plus cher jamais tourné en Turquie, n'est pas niable, pas plus que le jeu des acteurs, Les problèmes se trouvent dans le scénario et les rôles. 

Constantin XI Paleologue y est en effet dépeint comme un tyran odieux et hédoniste (nous verrons plus loin ce qu'il en est!) et les "Byzantins" comme des décadents lascifs, pervers, stupides et "idolâtres" au contraire des braves turcs durs à la tâche, vertueux, intelligents et vénérant le "seul vrai Dieu", même si le fait de provoquer la guerre déclenche chez Mehmed des troubles de conscience. De plus, si le film montre bien la prise de la ville, il évite soigneusement de montrer que des massacres, des pillages et des viols ont accompagné celle-ci, alors que c'était une pratique courante à l'époque (... et encore aujourd'hui d'ailleurs!) 

Il présente aussi faussement l'histoire d'Orban, l'ingénieur hongrois qui fabriqua un "super-canon" pour Mehmet. Dans la réalité historique ce dernier présenta d'abord ses offres de services à Constantin XI, qui refusa en raison de la somme exorbitante qu'il demandait. Notre homme alla alors se vendre à Mehmet. Dans le film, ce mercenaire est victime d'un ignoble chantage de Constantin XI qui veut le forcer à travailler pour lui en menaçant la vie de sa fille. Bien évidemment tous les deux seront sauvés par des espions turcs qui les mèneront devant Mehmet!

Une scène émouvante montrant des mineurs turcs qui tentent de saper les murailles de la ville se faisant sauter en criant "Allah Akbar" pour éviter la capture est historiquement fausse. Vu la nationalité des mineurs employés par Mehmet II, ils auraient plutôt crié "Par la Sainte Vierge"". En effet, ils étaient Serbes et chrétiens orthodoxes!!

Enfin, pour enfoncer le clou, "Fetih 1453" montre l'hippodrome de Constantinople comme à ses plus beaux jours, alors que ce dernier était ruiné à l'époque et que l'on n'y donnait plus de courses de chars depuis plus de 250 ans! Il donne aussi l'impression erronée que les Ottomans affrontent un ennemi puissant, alors que l'Empire Byzantin était depuis longtemps à bout de souffle et exsangue... Et horreur des horreur, il montre l'ignoble Constantin XI quitter l'abri des murs de Constantinople pour affronter l'armée turque en rase campagne, chose qu'il a soigneusement évité de faire dans la réalité! Il n'avait en effet que quelques milliers d'hommes contre des dizaines de milliers de turcs (et de serbes!). Il aurait fallu qu'il soit complétement cintré pour agir ainsi. Et il n'était pas fou, ainsi que nous allons le voir par la suite... Dans le même ordre d'idée, tous les soldats turcs sont montrés comme étant des Janissaires, alors que ces fantassins d'élite n'étaient guère plus de 6000 au milieu de dizaines de milliers d'autres combattants.

Évidemment, vous avez aussi la jolie byzantine qui préfère le beau soldat turc au traître capitaine Génois, sans compter les deux James Bond Ottomans qui auraient pu s'ils l'avaient voulu s'emparer seuls de Constantinople avec un bras lié dans le dos... 

Ah! Et j'allais oublier le plus beau : un superbe anachronisme dans lequel on voit le chef des mercenaires génois Giovanni Giustiniani observant l'avance sous les murs de la ville des troupes de Mehmet II grâce à une longue vue qui ne sera inventée que plus d'un siècle et demi plus tard. Par contre, Constantin XI n'a pas de Smartphone. En revanche, il bénéficie dans le film de funérailles auxquels il n'eut jamais droit et en présence de Mehmet II, ce qui n'eut jamais lieu!

Abandonnons là la légende et passons à l'histoire... la vraie!

 

   

I) Les Adversaires 

a) Les byzantins

File:Harleian Ms6163 Emperour of Constantynenople arms.gif
 A leur sujet, il nous faut d'abord aborder un problème de terminologie. Un byzantin est un habitant de Byzance, la ville qui a précédé Constantinople. Dire à un sujet de Constantin XI qu'il est un "byzantin" l'aurait étonné car il n'aurait pas compris qu'on lui applique ce nom. Lui dire qu'il est un Hellène aurait suscité probablement de la colère chez lui. Car pour lui, les Hellènes étaient des païens idolâtres de l'ancien temps d'avant le christianisme. Or lui est chrétien. Profondément chrétien même. Lui dire qu'il est un Grec aurait amené chez lui la réponse "La Grèce n'est qu'une région de l'Empire". Ceux que nous appelons aujourd'hui "Byzantins" et que les Occidentaux médiévaux appelaient "Grecs" se désignaient en fait comme "Romains". Les Arabes et les Turcs, qui les désignaient sous le nom de "Roumis" reconnaissaient cette identité romaine. Rumeli Hisar est d'ailleurs "Le Chateau du Pays des Romains" et la région devant Constantinople s'est longtemps nommée la "Roumélie", déformation française du turc "Roum Ili", le "Pays des Romains". Autant vous le dire tout de suite, "L'Empire Byzantin" n'est rien d'autre que l'Empire Romain tout court et il existe une continuité juridique et historique qui va d'Auguste (-27 av. J.-C. à 14 après J.-C.) à Constantin XI (1448 - 1453). L’Hellénisme ne sera redécouvert par des érudits byzantins que dans les deux derniers siècles de l'Empire.

Autant vous dire qu'un empire qui a existé 1480 ans n'était pas dirigé que par des débiles, des pervers décadents ou des fous, contrairement à ce qu'assurent tant de peplums! Et que résumer simplement l'histoire d'un tel état tient du tour de force. C'est un peu comme raconter l'histoire de France de Clovis à nos jours en quelques lignes! Et pourtant, Mesdames et Messieurs, je vais tenter cet exploit! Roulement de tambour s'il vous plaît! 

Au 4ème siècle l'Empire Romain se relève d'une grave crise politique et Dioclétienéconomique. L'empereur Dioclétien (285-305), comprenant que l'empire était trop vaste pour un seul homme, avait choisi trois co-empereurs pour l'aider à le diriger. Rome n'était plus alors que la capitale en titre de l'Empire. Les empereurs résidaient à Tréves (Allemagne), Milan (Italie), Sirmium (Serbie) et dans le cas de Dioclétien à Nicomédie (Izmit en Turquie), pas très loin du Bosphore et de la future Constantinople. Hélas, après lui les guerres civiles reprirent jusqu'à ce qu'un homme, Constantin 1er le Grand (306-337), réunifie l'empire romain en 326 et autorise la pratique du Christianisme en 313. Voulant trouver un lieu pour y établir sa résidence impériale, il refonde la ville de Byzance sous le nom de Constantinople.  

Au déclenchement des Grandes Invasions, tandis que l'autorité romaine en Occident se délite et disparaît, la partie orientale de l'Empire, plus riche et mieux protégée, parvient à Justinien Ierrésister. Justinien (528-565) se lance même dans une tentative pour rétablir l'autorité romaine en Occident, ou du moins sur le pourtour méditerranéen. Mais sa politique agressive mets l'empire en difficulté à l'époque où les Slaves commencent à arriver dans les Balkans et renaît l'expansionnisme de l'Empire Perse. Pire, une crise économique, des épidémies et des divergences religieuses affaiblissent l'Empire. Profitant de cette faiblesse, les Perses de Khosrô II (590-628) passent à l'attaque et s'emparent rapidement du Moyen Orient et de l'Egypte, leurs éclaireurs atteignant même le Bosphore en face de Constantinople en 612. Mais l'empereur Hiéraclus (612-641) passera à la contre-offensive et reprendra les provinces perdues, détruisant la puissance de la Perse. Pour célébrer sa victoire, il abandonnera le titre impérial d'Auguste pour celui de Basileus (Grand Roi) qu'il prend aux Perses, l'impératrice passant d'Augusta à Basilissa.

Seulement l'empire sortait épuisé et divisé de la crise, les Patriarches d'Alexandrie et d'Antioche supportant des doctrines religieuses différentes de celui de Constantinople. Tout cela allait le laisser très affaibli face aux cavaliers de l'Islam qui lui prendront alors le Moyen Orient, l’Égypte, l'Afrique, Chypre, la Crète et la Sicile. Slaves et Bulgares envahirent quant à eux les Balkans, pénétrant jusqu'en Grèce, tandis que les Lombards lui arrachèrent dans le même temps la majeure partie de l'Italie. L'empire en pleine détresse était réduit à l'Asie Mineure, dévastée par les raids arabes, et à des îlots côtiers en Grèce et en Italie. Il était proche de disparaître. 

Mais contre toute attente, il allait survivre en dépit des invasions et des disputes religieuses. Après avoir repoussé deux tentatives arabes de prendre Constantinople en 678 et 717, il allait même passer à la contre-offensive! Toutefois, il aura dû accomplir bien des réformes, abandonnant notamment l'ancien système romain des provinces pour celui des "thèmes". La langue latine, qui n'était pour ainsi dire plus parlé ou comprise sera abandonné pour le Grec. Peu à peu, l'empire va restaurer sa domination sur l'Italie du Sud, les Balkans, l'Asie Mineure, la Crète, Chypre, les côtes libanaises, le nord de la Syrie, le nord de l'Irak et l'Arménie. Par le biais de l’Église Orthodoxe, son influence s'exercera en Russie jusqu'à Novgorod, pas loin de la Mer Baltique! Sous le règne de Basile II Basile II"Le tueur de Bulgare" (976-2015), l'Empire est sans aucun doute l'état chrétien le plus riche, le plus puissant et le mieux structuré qui soit pour l'Europe de son époque.. 

Mais cette apogée sera brève : l'empire est devenu trop étendu par rapport à ses moyens et des tensions internes se font jour avec une "féodalisation" rampante qui favorise les grands propriétaires terriens aux dépens des petits fermiers qui formaient l'ossature des armées impériales. De nouveaux ennemis apparaissent : "Normands" (Normands + Flamands) en Italie, Turcs Petchenègues et Coumans sur le Danube et Turcs aux frontières orientales de l'Empire. 

L'année 1071 sera désastreuse. L'empire perd Bari, sa dernière place forte en Italie et surtout les Turcs écrasent l'armée du Basileus Romain IV Diogène à Mantzikert, et capturent ce dernier. Cela déclenche une guerre civile entre prétendants à la pourpre impériale, qui permet aux Turcs, que les différents camps utilisent comme mercenaires, de s'établir dans toute l'Asie Mineure. En 1081, la situation est désespérée. Toute l'Asie Mineure est perdue à part Trébizonde (Trabzun, Turquie) et quelques villes côtières. La frontière du Danube a cédé, Petchenègues et Coumans ravagent les Balkans. Les "Normands" d'Italie du Sud ont débarqué en Grèce et ont l'intention de s'emparer de Constantinople... 

Alexis Ier ComnèneMais une nouvelle fois, l'Empire allait se relever! Grâce à la diplomatie tortueuse d'Alexis Ier Comnène (1081-1118) qui allait faire s'opposer ses ennemis les uns aux autres, l'Empire chasse les "Normands" de Grèce en  employant la ruse et les techniques de la guérilla, fait écraser les Petchenègues par les Coumans, puis enrôle les survivants dans son armée et avec ces derniers anéanti les Coumans! Il profite ensuite de la Première Croisade pour récupérer l'Asie Mineure Occidentale. Ses successeurs, Jean II (1118-1143) et surtout Manuel Ier le Grand (1143-1180) continuent son œuvre. Ils rétablissent l'autorité byzantine sur les Balkans et récupèrent les côtes de l'Asie Mineure, abandonnant l'Anatolie au Sultanat turc d'Iconium. Mais le prix du succès est lourd. Pour avoir le concours de la flotte vénitienne contre les "Normands" de Sicile, Alexis Ier a laissé les vénitiens obtenir des avantages économiques dans l'Empire, puis en cédera d'autres aux Génois pour contrebalancer la puissance des premiers. Pire, lui-même issu de la noblesse terrienne d'Asie Mineure, il ne fait rien pour défendre la petite paysannerie qui donne ses meilleurs soldats à l'empire et même en favorise la "féodalisation". Pour financer sa politique aussi ambitieuse que brouillonne (tentative de reconquête de l'Italie du Sud, visées sur la Couronne de Hongrie et même le titre de Saint Empereur Germanique), Manuel Ie (1143-1180) écrase d'impôts et de réquisitions les petits propriétaires. Les échecs des Croisades, surtout celle de 1147, est imputé en Occident à une trahison des "Grecs", considérés comme hérétiques depuis le Schisme de 1054 entre la Papauté et le Patriarcat de Constantinople. Les Vénitiens et beaucoup d'occidentaux sont avides de mettre la main sur l'or de Constantinople dont les richesses les affolent. Les troubles dynastiques qui suivront la mort de Manuel I Comnène et dureront durant la dynastie des Anges (1185-1203) permettront aux Vénitiens de réaliser leur rêve : détourner une croisade, la troisième, vers Constantinople, d'abord pour y établir comme empereur un prétendant au titre qui s'était réfugié à Venise, puis quand ce dernier sera détrôné par une émeute populaire, ils assiégeront la cité. Le 12 avril 1204, ils s'en emparent en prenant pied sur les remparts faisant face à la Corne d'Or. Tandis qu'un incendie gigantesque dévaste une grande partie de la ville, les Croisés et les Vénitiens la pillèrent sans épargner les églises, monastères et même les tombeaux des empereurs. En les fondant, ils détruiront des chefs d’œuvres antiques qui avaient survécu aux émeutes et aux tremblements de terre. Ils mettront aussi dans le cœur des Romains d'Orient une haine profonde pour les chrétiens d'Occident. Souvent ces derniers opposeront la clémence des Musulmans, dont les Turcs, à la cruauté et à la rapacité des occidentaux, les "Latins".

Contre toute attente cependant, l'Empire allait cependant survivre à travers trois états qui se disputeront la légitimité de son héritage.

En Épire (sud de l'Albanie et nord-ouest de la Grèce) un cousin de l'Empereur Isaac II Ange (1185-1195 et 1203-1204), Michel Doukas crée le Despotat d'Epire (1205-1337).

A Trebizonde, sur la côte de la Mer Noire, Alexis et David Comnène fondèrent leur état avec le concours de leur cousine, la reine Tamar de Géorgie. Cet état existera de 1185 à 1461, mais sera très vite écarté de la course vers Constantinople.

Enfin, beaucoup de réfugiés constantinopolitains trouveront refuge à Nicée (Iznik en Turquie) auprès de Théodore Lascaris (1204-1222). Ce dernier repoussera les Croisés, les Turcs et battra les Comnènes de Trébizonde. Ses successeurs prendront pied en Europe, s'empareront de Thessalonique, battront les Epirotes et couperont les routes terrestres vers Constantinople. Mais ce ne seront pas les Lascaris qui reprendront Constantinople. Cette reconquête sera l'oeuvre d'un usurpateur qui fondera une nouvelle dynastie :  Michel VIII Paléologue (1258-1282) qui conclu pour avoir l'allianceMichel 8 des Génois un traité qui s'avérera désastreux à long terme, car il leur garanti les mêmes droits que les Vénitiens et privera l'Empire d'une part importante de ses ressources. Le 25 juillet 1261, Constantinople est reprise par accident et sans combat par les 800 hommes du très mauvais général Alexis Strategopoulos!

Michel VIII, désireux de rétablir la puissance byzantine, se trouve bientôt dans une situation inextricable. Par suite du traité signé avec Gênes, il manque d'argent et doit prendre des mesures d'économie pour en trouver. Notamment en supprimant les avantages concédés aux colons militaires qui défendaient les possessions impériales contre les Turcs et en licenciant des unités entières pour les remplaçer "au coup par coup" par des mercenaires. Dès la fin du règne de son règne, l'Asie Mineure sera perdue à l'exception des villes, des bandes de pillards Turcs parcourant librement les campagnes. Toute la politique de Michel VIII est en effet orienté vers l'Europe, notamment pour éviter une nouvelle croisade contre Constantinople. Il tentera même pour empêcher celle-ci de négocier l'Union entre l’Église Catholique et l’Église Orthodoxe, mais se heurtera à l'opposition d'une majorité du Clergé orthodoxe et du peuple.

Son fils Andronic II (1282-1328) hérite d'une situation difficile. les caisses de l'état sont vides et pour réaliser des économies il a été forcé de réduire encore les effectifs de l'armée et de supprimer sa flotte de guerre, faisant appel en cas de danger à la flotte de Gênes et à des mercenaires, comme les Amulgavares Catalans qui se révolteront en 1305 et mettront l'Empire à sac pendant quatre ans, ne laissant des que des ruines derrière eux. Il éprouve les plus grandes difficultés devant les Serbes et ne peut rien faire pour s'opposer aux Turcs qui s'emparent des côtes de la Mer Égée. En 1299, comme nous le verrons plus loin, l'Empire Ottoman est fondé par le Sultan Osman et progresse vers Nicée aux dépens de l'Empire.. Devant le désastre, le propre petit-fils d'Andronic II, Andronic III (1328-1341) se révolte contre son grand-père et prend le pouvoir. Homme énergique, il tente de recréer une marine, une armée et de réformer l'Empire. Il ne peut rien faire contre l'avance des Turcs Ottomans qui s'emparent de Nicée (Iznik) en 1331 et chassent les Byzantins de l'Asie Mineure, mais lutte victorieusement contre les Bulgares et les Serbes et conquiert l’Épire, axant sa politique sur l'Europe pour recréer un empire dominant le sud des Balkans et la Grèce. Malheureusement, il meurt prématurément à l'âge de 44 ans, laissant le trône impérial à Jean V (1341-1391), un garçon d'à peine neuf ans sous la régence de sa mère Anne de Savoie, catholique convertie à l'orthodoxie,  assisté du Mégaduc Alexis Apokaukos. Ce dernier tente en répandant des rumeurs de discréditer Jean Cantacuzene, ancien Jean VI Cantacuzenebras droit et ami d'Andronic III, le poussant ainsi à usurper le pouvoir impérial sous le nom de Jean VI Cantacuzene. Une guerre civile éclate alors qui durera cinq ans (1341-1346). Victorieux, Jean VI protégera les droits de Jean V mais n'aura pas un règne heureux. Dès 1347 la Peste Noire apparaît à Constantinople. Il est détesté par le peuple et une partie du clergé et doit faire face à de nombreuses révoltes. Les Serbes arrachent plusieurs provinces à l'Empire, les Vénitiens détruisent sa flotte à l'intérieur même de la Corne d'Or, les Génois le forcent à leur céder deux villes côtières de la Mer de Marmara et les Turcs Ottomans passent en Europe après avoir pris Gallipoli. Pour couronner le tout, la guerre civile éclate entre lui et Jean V. Elle se termine en 1354 par la victoire de ce dernier. Ecoeuré et las, Jean VI abdique et prend l'habit monastique. Malheureusement, Jean V se révèle un politique exécrable! Il mène une politique incohérente alors que d'ore et déjà la situation de l'empire est désespérée. Les Turcs s'emparent d'Andrinople en 1365, coupant les routes terrestres reliant Constantinople au monde extérieur, puis profitant des divisions entre les Serbes, Bulgares, Latins, Vénitiens, Génois et Byzantins, se lancent à la conquête des Balkans et s'emparent de Thessalonique en 1387. C'est en vain que Jean V va s'humilier en 1369 devant le pape Urbain V. Aucun secours ou presque ne vient d'Occident et il doit en 1374 se reconnaître vassal du Sultan Murad Ier et lui payer tribut. Fort habilement, les Turcs favorisent les dissensions dans la famille impériale et ne manquent aucune occasion d'humilier Jean V, forçant par exemple son fils Manuel (futur Manuel II) à prendre part en 1396 avec des troupes impériales à la prise de Philadelphie du Méandre, dernière ville d'Asie Mineure à se réclamer sujette du Basileus! Le règne de Jean V ne sera d'ailleurs que complots, usurpations et guerre civile. A sa mort, personne de sensé ne pouvait imaginer que l'Empire durerait encore plus de quelques années!

Manuel II (1391-1425) devient empereur dans des conditions rocambolesques : à la nouvelle de la mort de son père, il Illustration de l'article : Benoit XVI et Manuel II Paléologuedoit en effet s'enfuir de Brousse (Bursa, Turquie) où le Sultan Bajazet le tenait captif pour être proclamé Basileus à Constantinople. Pour calmer l'ire de Bajazet, il doit accepter une augmentation de son tribut et accompagner ce dernier dans sa campagne contre des émirs Turcs rivaux des Ottomans. Le Basileus n'est désormais plus qu'un roitelet sans prestige, vassal de Bajazet, qui ne manque aucune occasion d'humilier ceux-ci. Manuel II fini par être excédé de cette situation. En 1394, il se révolte en refusant une nouvelle convocation du Sultan et se prépare à la guerre. Il envoie des diplomates demander de l'aide en Occident. Le roi Sigismond de Hongrie rassemble une armée de volontaires, mais celle-ci est écrasée à Nicopolis (Nikopol; Bulgarie) le 25 septembre 1396. La ville ne tient alors que grâce à ses murailles et au ravitaillement que les flottes génoises et vénitiennes lui apportent. En 1399, le Maréchal Boucicaut, envoyé par Charles VI de France arrive avec 1200 hommes à Constantinople. Il persuade Manuel II à aller lui-même plaider sa cause en Occident. Laissant à son neveu Jean VII Paléologue le gouvernement de la cité, il part en 1400 et se rend à Venise, Londres et Paris. Il restera dans cette dernière ville plus d'un an, donnant à la Sorbonne des cours magistraux sur Platon et éveillant l'intérêt des gens cultivés pour l'art antique. Il reviendra à Constantinople cependant les mains vides, mais avec une excellente nouvelle en tête.

Bajazet s'était en effet montré trop orgueilleux et avait provoqué fort inconsidérément Tamerlan, le redoutable conquérant Mongol. Les troupes de ce dernier avaient écrasé les Ottomans à Ancyre (Ankara; Turquie) le 28 juillet 1402. Mieux, les quatre fils de Bajazet se disputaient le pouvoir. L'occasion était inespérée pour les Romains d'Orient de relever leur empire, mais quand Manuel II revint à Constantinople, Jean VII avait déjà traité avec Suleyman Bey, le maître d'Andrinople. L'empire est dégagé de son tribut et de sa vassalité, récupère une partie de la côte de la Mer Noire et Thessalonique. Mais ce ne sont que des territoires dispersés et indéfendables que Suleyman a cédé pour mieux diviser les chrétiens tandis qu'il combat ses frères. Manuel II ne saura pas empêcher la réunification de l'Empire Turc Ottoman sous la bannière de Mehmet Ier. Toutefois, comme il a été aidé par Manuel II dans la dernière phase de la guerre civile, Mehmet confirme le traité de 1403 et traite amicalement le Basileus. Manuel profite de cette paix entre Ottomans et Byzantins pour renforcer la présence de l'Empire en Morée (sud de la ville de Corinthe). En 1269, Michel VIII Paléologue avait obtenu là par traité plusieurs forteresses franques et la ville de Mistra. A partir de là, les Byzantins avaient grignoté peu à peu les territoires francs et en 1349 Jean VI Paléologue y crée le Despotat (Principauté) de Mistra pour son fils Manuel. La principauté, qui dispose d'une très large autonomie de fait est vue alors comme un réduit et un refuge. Nous en reparlerons plus loin...

En 1421, Mehmet Ier meurt. Aussitôt débute une guerre civile entre Mustafa, dernier frère survivant de Mehmet Ier et son neveu Murad II. Malencontreusement, Manuel prend le parti de Mustafa qui est écrasé et tué sur ordre de Murad. Manuel reste seul devant la colère de ce dernier qui met le siège devant Constantinople. Désemparé, Manuel II est victime d'une attaque qui le laisse à moitié paralysé. Cependant, estimant la ville impériale imprenable, Murad accentue sa pression sur Thessalonique et envoie une armée ravager la Morée. Le fils de Manuel, Jean VIII, qui est co-empereur depuis 1421, gagne Venise pour y quémander des secours. Mais en son absence, Manuel II signe un traité avec Murad. Ce dernier replonge l'Empire sous la sujétion Ottomane et le réduit à la Morée, à Thessalonique, à Constantinople et à quelques localités côtières de Thrace. Et encore Thessalonique sera abandonné en 1423 aux Vénitiens, les Byzantins ne pouvant la défendre contre les Turcs par leurs propres moyens. Manuel, devenu grabataire, meurt en 1425.

Jean VIII Paléologue est considéré par plusieurs historiens "post-byzantins"Jean VIII comme le dernier véritable Basileus, car ayant reçu l'onction à Constantinople à Sainte Sophie. Il ne règne guère que sur Constantinople et ses environs. Son jeune frère Constantin (futur Constantin XI) a en effet reçu en apanage une partie de la Thrace et son second frère, Théodore, est Despote de Morée. Il cédera en 1443 son titre à Constantin en échange de son apanage en Thrace et renoncera aussi à ses prétentions au trône. En 1430, Thessalonique tombe aux mains des Turcs sans que Venise puisse s'y opposer. Jean VIII comprend que l'heure de Constantinople approche et décide pour tenter de sauver la ville et son trône de négocier avec le Pape l'union entre les églises d'Occident et d'Orient. En raison des troubles agitant la Papauté, les négociations traîneront jusqu'en 1437, date à laquelle le Pape Eugène IV (1431-1447) est reconnu comme le seul Pape légitime. Jean VIII quitte alors Constantinople avec une forte délégation de prélats de l’Église Orthodoxe et gagne Venise, puis Ferrare et Florence. Fait montrant la faiblesse de ses ressources, tout son voyage est payé par Venise et le Pape. L'Union est proclamée en 1439, mais dès leur retour à Constantinople, plusieurs délégués se rétractent, d'autres sont désavoués ou chassés de leur fonction par leurs fidèles. Pire, Démétrios, le propre frère de l'Empereur se révolte en 1442 et assiège Constantinople avec des troupes.... Ottomanes! Mais même les adversaires de l'Unions refusent alors de le soutenir. Il est forcé de se soumettre et est assigné à résidence dans la ville.

L'une des conditions mise à l'Union par Jean VIII était l'organisation d'une croisade pour sauver Constantinople. Une flotte vénitienne part alors vers Constantinople pour rejoindre la croisade terrestre sur la côte bulgare et l'emmener à Constantinople. Celle-ci, forte de 20000 hommes est dirigée par le roi Ladislas de Hongrie. Constantin Paléologue, avec les troupes du Despotat de Morée attaque le Duché d'Athènes et le conquiert, sans pouvoir déloger toutefois le Duc Nerio II Acciaiuoli retranché dans l'Acropole. Continuant sur sa lancée, il pénètre en Thessalie, mais doit vite se replier vers la Morée. Il avait en effet appris que le 10 novembre 1444 à Varna (Bulgarie) les croisés avaient été défaits par Murad II et que Ladislas était mort. Murad II rétablit l'autorité Ottomane sur la Grèce et fait dévaster la Morée par ses troupes. Il défait une nouvelle fois les Hongrois le 20 octobre 1448 à la seconde bataille de Kossovo. Totalement désespéré, Jean VIII meurt quelques jours après l'arrivée de la nouvelle à Constantinople, laissant le pouvoir à son frère Constantin, désormais Constantin XI.

 

b) Les Turcs Ottomans

 Ottoman Army Flag

 

 

 

A ce stade, j'imagine que certains pensent que je vais décrire les Turcs Ottomans comme des barbares sanguinaires aux yeux injectés de sang brandissant de la main droite un cimeterre et de la gauche la tête d'une pauvre vierge chrétienne (orthodoxe). Il n'en sera rien, car à la fondation de l'Empire Ottoman par Osman en 1299, les Turcs avaient déjà derrière eux une longue histoire et une civilisation dont les racines se trouvent en Asie Centrale, mais qui s'est enrichie au contact des civilisations perse, arabe et... byzantine! 

Originaires d'Asie Centrale et de Sibérie, les peuples turcs sont identifiés comme tels par les Chinois à la fin du 6ème siècle de notre ère. Au 8ème siècle, la majeure partie de ces peuples adoptent l'Islam. Les Califes Abbassides de Bagdad (750-1258) en enrôlèrent en grand nombre dans leur garde personnelle. Peu à peu, ces derniers s'empareront de la réalité du pouvoir et dirigèrent le Moyen Orient à l'exception de la Syrie et de l’Égypte. En 1055, une dynastie turque issue des Ogouze du nord de la Mer d'Aral, les Seldjoukides s'empara de Bagdad, libérant le Calife Al-Qa'im (1031-1075). Leur souverain, Toghrul-Beg (1038-1063) recevra en récompense confirmation du titre de Sultan qu'il avait pris en 1038 à Nishapur (Iran) et sera le fondateur de l'Empire Seldjoukide. Son neveu Alp Arslan lui succédera (1063-1072). C'est lui qui battra et capturera en 1071 l'empereur Romain IV Diogène à Mantzikert (Turquie). L'anarchie qui se développera alors dans l'Empire Romain d'Orient favorisera l'installation des Turcs en Asie Mineure, soit comme envahisseurs, soit comme mercenaires opérant pour le compte des prétendants au trône de Constantinople ou du mercenaire "Normand" Roussel de Bailleul en pleine révolte contre Byzance. La situation se stabilisera en Asie Mineure après le passage de la Première Croisade. Le Sultanat Seldjoukide de Roum, fondé en 1074, installe sa capitale à Iconium (Konya) et prend le contrôle de l'est et du centre de l'Asie Mineure, l'ouest et les côtes étant contrôlée par les Byzantins et les montagnes de Cilicie par les Arméniens. Il affirmera sa vitalité en 1147 en anéantissant les croisés du Roi de Germanie Conrad III (2000 rescapés sur 20000 hommes!) à Dorylée. De même, il s'opposera victorieusement à l'Empereur byzantin Manuel Ier Comnène en le battant le 17 septembre 1176 à Myriokephalon et profite de la désagrégation de l'Empire à la mort de ce dernier et de la prise de Constantinople par les Croisés en 1204 pour avancer vers la Méditerranée et s'empare en 1207 d'Antalya (Adalya) qu'ils prend aux Vénitiens. De même, il atteint les rives de la Mer Noire en s'emparant du port de Samsun. Le Sultanat est alors à son apogée, mais celle-ci sera brève! En 1243, obéissant aux ordres de Gengis Khan, une armée mongole commandée par l'un de ses lieutenants écrase l'armée Seldjoukides à la bataille de Köse Dag. Elle envahit ensuite le Sultanat et ne s'arrête qu'aux frontières de l'état byzantin de Nicée. Le Sultanat de Roum ne s'en relèvera pas et se morcellera en de nombreuses principautés rivales.

L'une de celles-ci sera fondée par des Turcomans appartenant à une branche des Ogouz qui avaient fuit devant la déferlante mongole. Vers 1230, le chef de ce groupe, Ertugrul, recevra du Sultan d'Iconium un fief sur la frontière byzantine à Sögüt, avec la mission de défendre cette région contre les contre-attaques byzantines. En 1281, Ertugrul meurt, laissant sa succession à son fils Osman Osman Ier(1281-1325). Ce dernier, qui n'a guère à ses débuts que 400 hommes sous ses ordres, grignote les territoires de ses voisins et déclare à l'Empire Byzantin une véritable "Guerre Sainte". En 1299, il prend le titre de Sultan, ce qui revient à proclamer son indépendance envers ce qui reste du pouvoir Seldjoukide. Le 27 juillet 1302 il écrase les Byzantins à la bataille de Baphaeus (Koyunhisar). Ce succès lui ouvre la frontière byzantine et augmente considérablement son prestige. Il s'emparera ensuite de Brousse (Bursa) sur la Mer de Marmara, peu avant sa mort. Son fils Orhan (1326-1360) lui succédera et y établira sa capitale. Il continuera à étendre son territoire aux dépens de l'Empire Romain d'Orient, s'emparant de Nicée (Iznik) en 1330. En 1345, il conquiert la principauté rivale des Karesiogulian et s'empare de leur capitale Pergame (Bergama) et de leur flotte. L'année suivante, il épouse en troisième noces Théodora, fille de l'Empereur Jean VI Cantacuzene. Il donne à ce dernier des troupes qui l'aident à entrer dans Constantinople et à devenir le régent de Jean V Paléologue. Ce dernier se révolte par la suite contre Jean VI. Orhan intervint encore une fois en faveur de son beau-père et en profite pour s'emparer de Chalcédoine (Kadiköy), juste en face de Constantinople. 1354 sera pour Orhan une année faste. Non seulement il conquiert Ankara, , mais il occupe aussi en Europe Gallipoli (Gelibolu) à la faveur d'un tremblement de terre si violent qu'il en fit fuir la population. Jean VI demanda poliment à Orhan de lui rendre la ville (il n'avait de toute façon pas les moyens de la reconquérir), mais Orhan répondit tout aussi poliment "qu'il ne pouvait rendre ce que Allah lui avait donné". Et il avait en plus le moyen de garder la ville, lui! Jean VI abdiquera en 1356 pour devenir moine, après que Jean V eut conquis le trône impérial avec l'aide des Génois. Orhan n'intervint pas en faveur de son beau-père et se contenta d'observer les événements. Orhan ne limita pas son action à la guerre, il fonda en effet les premières institutions étatiques, sociales et scientifiques ottomanes, dont l'université de Bursa. Le tout en partie inspirée par les institutions byzantines....

Son fils, Mourad Ier (1360-1389) lui succéda. Fils de Theodora, qui Mourad Iers'était converti à l'Islam après son mariage avec Orhan, il continuera l'action de réformateur et d'organisateur de son père et inaugurera le "devchirmé", c'est à dire l'incorporation de force de jeunes chrétiens dans le corps d'élite des Janissaires. En Europe, il étendra ses territoires par la prise d'Andrinople (Edirné) qui coupe toutes les routes terrestres vers Constantinople et transporte la capitale de son Empire dans cette ville. En 1373, Jean V Paléologue est contraint de lui payer tribut et de se reconnaître son vassal. En 1385, il s'empare de Sofia et écrase les Serbes à la bataille de Kossovo. Mais il ne verra pas la soumission des Serbes. Il y est poignardé par le gendre du roi Lazar Hrebeljanovic, qui a lui-même trouvé la mort sur le champ de bataille.

Bajazet IerBajazet Ier (1388-1402) lui succéda sur le champ de bataille et fit exécuter son frère Yakub pour prévenir toute guerre civile. Il accordera à la Serbie une paix lui laissant une large autonomie sous la sujétion Ottomane et épousa la fille du feu roi Lazar. Laissant ses lieutenants conquérir entre 1389 et 1395 ce qui restait de la Bulgarie et le nord de la Grèce, il gagna l'Asie Mineure où les émirats de Germiyan et la principauté de Karaman s'opposent à la puissance Ottomane. Bajazet les soumet en 1397 et annexe leurs territoires.

Dès 1391, Bajazet entame le siège maritime et terrestre de Constantinople, mais apprenant l'approche d'une armée hongroise, il doit lever le siège pour se porter à sa rencontre. Il lui infligea une défaite et s'empara de Tirnovo, pénétra en Valachie, puis s'empara de Thessalonique.

En 1394, il fit reprendre le siège de Constantinople. Pour bloquer la navigation sur le Bosphore, il fit construire sur la rive asiatique du détroit la forteresse d'Anadoluhisari et s'empara de Chrysopolis (Scutari) dont il fit déporter la population en Asie Mineure pour la remplacer par des Turcs. Mais cela ne suffit pas car il lui manquait une marine assez forte et il n'avait pas de canons assez puissants pour ébranler les murailles. La ville demeurait inexpugnable et en plus, à l'appel de Manuel II, les Bourguignons organisèrent une armée de secours placée sous le commandement de Sigismond Ier de Luxembourg. Bajazet écrasa cette armée le 25 septembre 1396 à Varna. Il avait été averti des mouvements de cette expédition par le Duc de Milan Jean Galéas Visconti, et son vassal le prince serbe Stefan Lazarevic contribua largement à la victoire avec sa cavalerie lourde. Constantinople semblait perdue et la gloire de Bajazet était au zénith.

Or, il apprit que ses possessions en Asie Mineure étaient menacés par un conquérant aussi redoutable que lui : Tamerlan et ses Mongols. Ces derniers avaient déjà pillés un certain nombre de villages et leur venue ranimait l'espoir des petites principautés turques d'Anatolie que les Ottomans avaient soumis. Bajazet décida de lever le siège de Constantinople et d'aller affronter l'armée de Tamerlan. La bataille d'Ancyre sera un désastre pour les Ottomans qui y seront taillés en pièces. Mustafa, l'un des fils de Bajazet y trouvera la mort. Pire, Bajazet lui-même sera capturé et mourra quelques années plus tard en captivité. Il semble avoir été traité correctement par son vainqueur qui envoya dans son harem sa femmes et ses filles, elles aussi capturées lors de la bataille.

Ses quatre fils restant : Suleyman, Isa, Musa et Mehmet se disputèrent alors son héritage par les armes. Suleyman se proclama Sultan à Edirne et contrôlait la Bulgarie et la Thrace. Il avait en sa possession le trésor impérial sur lequel il a fait main basse à Bursa après avoir fuit le champ de bataille d'Ankara. Isa s'était imposé à Bursa. Musa se trouvait à Balikesir sur la Mer de Marmara et Mehmed à Amasya (Sur la Mer Noire).

Mehmed et Musa s'allièrent contre Isa. Isa fut défait, mais parvint à se réfugier à Constantinople. De là, il gagna l'est de l'Asie Mineure par la Mer Noire, leva de nouvelles troupes, mais sera de nouveau défait. Isa parviendra une nouvelle fois à s'échapper et à se réfugier auprès de l'Emir de Smyrne (Izmir en Turquie) qui avait réuni une coalition contre Mehmet. Mais cette dernière fut écrasée et Isa tué.

Inquiet des succès de Mehmet et Musa, Suleyman passa en Anatolie et s'empara de Bursa et d'Ankara, forçant Mehmet à se replier sur Amasya. Mehmet riposta en envoyant son frère Musa prendre Suleyman en revers en conduisant une expédition en Bulgarie en juillet 1409. Soutenu par les Serbes de Stefan Lazarevic et les Valaques de Mircéa, Musa pénétra en Roumélie. Aidé par l'empereur Manuel II, Suleyman revint en Europe et battit Musa, le chassant de Roumélie en 1410. Mais l'année suivante Musa prit sa revanche en défaisant Suleyman. Capturé, ce dernier fut exécuté.

Musa était maître de l'Europe, mais il rompit avec ses alliés chrétiens et sa tyrannie lui aliéna les seigneurs Turcs de Roumélie qui firent appel à Mehmet. Ce dernier passa en Europe, fut vaincu en juillet 1412 et se replia en Asie. Il y affronta Musa le 5 juillet 1413 à Camurlu avec le soutien des Byzantins et des Serbes de Stefan Lazarevic. Mehmet fut victorieux et Musa tué.

Mehmet Ier (1413-1421) avait réunifié l'Empire Ottoman, mais ce dernier avait bien Mehmet Iersouffert. Tamerlan avait rendu des régions complète d'Asie Mineure à leurs anciens maîtres avant de se replier vers l'est. Les campagnes et les villes avaient été ravagées par les troupes des différents prétendants. Les impôts étaient écrasants. Or, un théologien d'Edirne Cheikh Bedrettin, s'était institué comme le défenseur de tous les opprimés, qu'ils soient musulmans ou non. Il voulait en plus une forme de gouvernement démocratique avec un gouvernement élu. Sa prédication et ses prises de positions poussèrent les paysans à se révolter, musulmans et chrétiens réunis, sous la conduite d'un disciple de Bedrettin, Börkluce Mustafa. Ce dernier défit plusieurs expéditions envoyés contre lui, mais sera finalement vaincu, capturé et crucifié. Traduit en justice par la cadi de la ville de Serez où il avait été capturé, Bedrettin sera pendu.

Pour compléter, Mehmet devra en plus lutter contre Mustafa, dit "le Fourbe". Ce dernier se faisait passer pour le fils de Bajazet, Mustafa, qui aurait gagné la cour de Tamerlan à Samarcande après la bataille d'Ankara au lieu d'être tué lors de celle-ci. A la mort du conquérant Mongol, il gagna l'Asie Mineure et tenta de détrôner Mehmet avec le concours des princes de Valachie (Roumanie). Il échoua, fut défait et trouva refuge à Constantinople. Mehmed paya Manuel II pour que ce dernier l'emprisonne.

Mehmet Ier trouvera néanmoins le temps de rétablir l'autorité Ottomane en Asie Mineure en reprenant Izmir et en annexant les possessions des Karamanides. En Europe, il soumettra la Valachie. Il renforcera aussi la flotte Ottomane.

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e9/Murat_II.jpgSon fils Mourad II (1421-1451) lui succéda. Âgé de 17 ans à son arrivée au pouvoir, il devra dès le début faire face à Mustafa que les Romains d'Orient avaient libéré pour profiter d'une guerre civile entre Turcs. Mustafa s'empara de la Roumélie et passa en Asie Mineure, mais il sera défait près de Bursa, capturé et exécuté.

Mourad décida alors de se venger des Byzantins. Il mit le siège devant Constantinople, mais faute d'une marine efficace, il échoua à prendre la ville et fut forcé de lever le siège. Son frère Kuçuk Mustafa, craignant pour sa vie, s'était enfui à son avènement chez des ennemis des Ottomans, les Karamanides. Lors de son exil, il rencontra un pacha Ottoman, Saraptar Ilyas qui le poussa à se révolter contre son frère. Les Byzantins l'appuyèrent, bien évidemment. Kuçuk Mustafa échoua devant Bursa, mais réussi à prendre Iznik. Mourad II riposta en achetant Ilyas. Mustafa s'enfuit, mais il fut capturé et exécuté. Murad se tourna alors vers la Morée qu'il fit ravager par ses troupes et imposa à Manuel II un traité humiliant qui replongeait l'Empire Byzantin sous la suzeraineté Ottomane. Il s'empara aussi de Thessalonique en 1430, que les Romains d'Orient avaient cédé à Venise faute de pouvoir la défendre contre les Ottomans. La ville fut mise à sac par ses troupes et des soldats vénitiens furent tués. Venise s'était jusqu'alors plutôt bien entendu avec les Ottomans, mais désormais ce temps était fini et Venise prendra part à toutes les tentatives suivantes faites pour enrayer l'avance Ottomane. En 1439, il annexa la Serbie, puis la Thessalie et l’Épire, forçant les Albanais à reconnaître sa suzeraineté.

Mais à l'annonce du décès de son fils aîné Alaeddin en 1444, Mourad prit une décision surprenante : il céda le pouvoir à son fils Mehmet II, qui n'avait que 13 ans! C'était une occasion inespéré pour les Serbes, les Hongrois et les Byzantins de briser la puissance Ottomane. Avec le concours du Pape, de Venise et de la Pologne, le prince hongrois Jean Hunyadi organisa une croisade contre les Turcs avec le renfort de chevaliers français et de Valaques. Les Turcs furent battus et la situation devint si grave que Mehmet II fut contraint de supplier son père de revenir comme commandant de l'armée. Mourad écrasa l'armée des croisés le 10 novembre 1444 à Varna. Mais la jeunesse et l'inexpérience de Mehmet II inquiétaient beaucoup, aussi en 1446 les janissaires rétablirent Mourad II sur le trône. Jean Hunyadi n'avait en effet pas désarmé! Devenu régent de Hongrie, il avait levé une nouvelle armée composée de Hongrois, de Valaques, de Polonais et d'Allemands. Après quelques succès initiaux, cette armée affronta trois jours durant (17-20 octobre 1448) les Ottomans à Kossovo. Ces derniers gagnèrent la bataille qui concrétisa leur mainmise sur les Balkans.

Désormais, les jours du vieil Empire Romain d'Orient étaient comptés. Mais Mourad II ne dirigera pas l'attaque contre les remparts de la ville. Il décédera le 3 février 1451 à Edirne, laissant derrière lui cinq fils : Mehmed, Ahmed, Orhan, Hasan et Ahmed le second.

 

c) Les Italiens

 

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On peut se demander ce que viennent faire là-dedans les républiques aristocratiques de Gênes et de Venise. En fait, ces deux cités rivales avaient profité de l'affaiblissement de l'Empire Byzantin pour y implanter des comptoirs commerciaux, bénéficier de privilèges obtenus des Basileus et pour finir, par s'emparer de territoires complets.

Venise commença par être une possession de l'Empire Romain d'Orient jusqu'au début du 9ème siècle, et garda des liens privilégiés avec Constantinople qui faisait souvent appel à sa flotte pour contrer les pirates slaves qui menaçaient la navigation commerciale dans l'Adriatique. Alexis Ier Comnene (1081-1118) fera appel à son aide contre les Normands de Sicile en 1082, et pour s'assurer de leur fidélité leur cédera d'importants privilèges, notamment le quasi-monopole du commerce maritime entre Byzance et l'Occident. Cette puissance de Venise finit par indisposer les Basileus. Manuel Ier Comnene (1143-1180) en 1171 fit saisir toutes les possessions vénitiennes dans l'empire pour tenter de redresser ses finances mises à mal par sa politique de grandeur et fit emprisonner des milliers de citoyens de la Sérénissime. Venise se vengera en détournant à son profit la IVème Croisade qui prendra et pillera la ville impériale en 1204. Venise profitera de l'événement pour créer un véritable empire maritime en Méditerranée Orientale et dans la Mer Égée avec comme fleurons la Crète, les Cyclades et l'Eubée. Dans la première moitié du 15ème siècle, Venise est à son apogée. Sa marine domine incontestablement la Méditerranée et ses marchands trafiquent de l'Angleterre au Caucase, de l'Afrique du Nord à la Crimée. A cette époque les citoyens de la République Vénitienne avaient par tête un revenu quinze fois plus important que celui des habitants de Paris, Londres ou Madrid et la Sérénissime République était le premier employeur de l'Europe et le cœur financier du continent.

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Pour contrer la puissance vénitienne, les Byzantins comptèrent d'abord sur Pise, mais en 1284 la flotte de cette ville fut détruite par celle de Gênes. Les Croisades, et notamment la reprise de Saint-Jean d'Acre en 1191 allait permettre à Gênes de s'implanter en Méditerranée Orientale au grand dam de Venise qui à dater de ce jour montrera une hostilité sans faille envers Gênes.

Désireux de s'assurer le concours des Gênois pour reprendre Constantinople, Michel VIII Paléologue signa avec eux le traité de Nymphaeon. Il octroit par ce dernier aux Génois des privilèges considérables et le faubourg de Galata, de l'autre côté de la Corne d'Or. Les Génois y créeront un port et un comptoir commercial ceint de remparts qui détournera 80% du trafic maritime qui allait auparavant dans le port impérial, et bien sûr 80% des fortunes qui se déversaient jadis dans les caisses du Basileus. A chaque fois que Byzance tentera de réagir, notamment sous Andronic III (1328-1341) qui baissera les droits de douane pour attirer de nouveau les navires de commerce dans le port impérial, les Génois n'hésiteront pas à attaquer les Byzantins pour les faire renoncer. Gênes faisait également tout pour interdire l'accès de la Mer Noire aux Vénitiens. La lutte entre les deux puissances maritimes finira par s'achever par une victoire décisive de Venise en 1381. Suite à celle-ci, Venise récupéra tout ses privilèges à Constantinople, assura sa maîtrise en Méditerranée et obtint l'accès à la Mer Noire.

L'hostilité entre les deux cités persistait cependant, chacune d'entre elles tentant de conclure des accords avec les Ottomans pour prendre l'ascendant sur l'autre.

  

II) Les Chefs

De bons soldats conduits par un mauvais chef peuvent aller au désastre, aussi dans cette histoire la personnalité des principaux commandants militaires, du moins ce que l'on peut en savoir de façon objective, est importante.

C'est ce que nous tâcherons de définir dans cette partie, tout en y précisant les conditions de l'arrivée au pouvoir des deux principaux belligérants : Constantin XI Paléologue Dragases et Mehmet II Fatih (Le Conquérant)

 

a) Constantin XI, le dernier des Romains.

94éme et dernier empereur de l'Empire Romain d'Orient, Constantin Paléologue File:Constantine XI Palaiologos miniature.jpgDragases est né le 8 février 1404 à Constantinople. Son père était l'empereur Manuel II (1391-1425) et sa mère Hélène Dragas (vers 1372-1450) était la fille de l'un de ces roitelets serbes qui s'édifièrent des principautés sur les ruines de l'Empire Serbe. Celle des Dragas s'étendait autour de Kyustendil, dans l'extrême ouest de la Bulgarie actuelle. Constantin adorait sa mère et ajouta son surnom (Dragases) à son nom dynastique quand il accéda à la pourpre impériale.

Constantin passa la majeure partie de sa jeunesse à Constantinople où il fut éduqué sous la surveillance de ses parents. A la mort de son père, son frère aîné Jean devint empereur sous le nom de Jean VIII (1425-1448). Quand ce dernier gagna l'Italie pour y négocier la réunification des Églises Catholique et Orthodoxe, Constantin fut nommé régent durant son absence entre 1437 et 1440 et s'acquitta consciencieusement de sa tâche .

A la mort du Despote de Morée Théodore II Paléologue en 1443, Constantin fut choisi pour le remplacer. Il s'y était déjà distingué en 1430 en jouant un rôle essentiel dans la prise de Patras, dernière possession latine en Morée. Il y manifestera sa hardiesse en combattant au premier rang lors de plusieurs combats. L'un de ceux ci lui manquera de peu de lui être fatal : son cheval sera tué et en tombant il se trouva bloqué sous celui-ci. Sans l'intervention de son ami George Phrantzes, préfet de Mistra, qui accouru pour le secourir, il aurait été tué ou capturé, Blessé, Phrantzes passera de longs mois prisonnier dans un donjon franc avant d'être libéré par Constantin. Cela créera entre les deux hommes une amitié qui ne se démentira jamais.

Conseillé par le philosophe néo-platonicien Gémiste Plèthon (vers 1352-vers 1453) dans son administration, il fera sous l'influence de ce dernier reconstruire l'Hexamilion, une muraille barrant l'isthme de Corinthe et qui protégeait le Despotat de toute attaque des Turcs.

Profitant du déclenchement d'une croisade anti-turque en 1444, il lancera à l'attaque les troupes du Despotat contre le Duché d'Athènes et les Ottomans. Il s'emparera d'Athènes (sauf l'Acropole) et de Thèbes, mais devra se replier à l'annonce du désastre de Varna. En l'automne 1446, le sultan Mourad II arriva à la tête d'une armée de plus de 50000 hommes pour châtier Constantin de sa témérité. Ce dernier attendait de pied ferme avec son frère Thomas les Ottomans sur l'Hexamilion. Cette muraille était tout à fait capable de résister aux armes traditionnelles, mais Mourad avait des bombardes qui percèrent le rempart. Les soldats de Constantin se débandèrent et les deux frères échappèrent de peu à la capture ou à la mort! Les Turcs se répandirent alors dans le Despotat et le mirent à feu et à sang avant de se replier. Constantin ne renouvela pas ses tentatives de progresser au nord de l'isthme corinthien.

Constantin XI ne fut pas un époux très chanceux. En 1428, il épousa Theodora Tocco, fille du Despote d'Epire Charles Ier Tocco, mais elle décéda le 1er novembre 1429 en accouchant d'une fille mort-née. Il se remaria alors avec Catherine Gattilusio, fille de Dorino Gattilusio, seigneur de Lesbos, le 27 juillet 1441. Mais encore une fois la fatalité frappa : quelque mois plus tard, elle rendit son âme à dieu.

Constantin resta célibataire. L’Église orthodoxe considérait d'un mauvais œil qu'un homme se remarie plus de deux fois. Or Constantin était très pieux et n'était pas du tout l'hédoniste montré dans "Fetih 1453". Et il avait le droit de se montrer un peu découragé...

Le destin de Constantin prendra une nouvelle route quand son frère aîné Jean VIII Paléologue décédera sans héritier (ou héritière) en 1448. Constantin était l'héritier légitime par droit d'aînesse et avait le support de sa mère. Cela n'empêcha pas son frère cadet Démétrius de lui disputer le trône avec le soutien de la faction opposée à la réunification des Eglises d'Orient et d'Occident.

Démétrius (1407-1470) était un trublion  connu. Nommé gouverneur de Lemnos par son père Manuel II (dont il était le plus jeune fils) en 1422, il refusa de s'y rendre pour y résider et s'enfuit chez le roi Sigismond de Hongrie en réclamant que ce dernier le protège de ses frères (!). Ce n'est qu'en 1425 qu'il se soumettra et acceptera de se rendre à Lemnos.

Jean VIII, qui se méfiait de lui, l'emmènera au Concile de Ferrare qui devait décider des modalités de l'union entre les églises catholiques et orthodoxes. Adversaire farouche de cette union, Démétrius rentra à Constantinople en 1439 sans le consentement du Basileus. Celui-ci le privera du gouvernement de Lemnos l'année suivante et lui donna la ville de Messembria (Nesebar en Bulgarie) en apanage.

Mais cela ne lui plaisait guère, aussi il se révolta contre Jean VIII en 1442 et assiégea Constantinople avec le concours de troupes... Ottomanes! Il réclamait en échange de sa soumission un apanage plus stratégique à Sélymbria (Silivri, Turquie). Mais les milieux "anti-Unionistes" se détournèrent de lui et il fut contraint de se soumettre, les Ottomans l'ayant laissé choir.

A la mort de Jean VIII, ce trublion tenta d'usurper le trône impérial, mais il devra faire face à l'opposition de sa mère la "Basilissa" Héléna et de son frère Thomas et renoncera à provoquer une guerre civile.

Le 6 janvier 1449, Constantin fut couronné Basileus à Mistra par l'évêque local. Normalement, il y aurait dû y avoir un second couronnement à Constantinople, mais ce dernier n'aura jamais lieu : le Patriarche de Constantinople, Grégoire III était pour l'Union des Eglises, au contraire de la majorité de son clergé (1443-1450) et Constantin XI ne voulait pas en étant couronné par ce dernier alimenter les querelles religieuses dans la ville impériale. Seconde raison, les caisses de l'Empire étaient vides et l'état couvert de dettes, ce qui ne permettait pas de donner aux cérémonies du couronnement le faste nécessaire.

"L'Empire" sur lequel régnait Constantin XI était en effet à un état à bout de souffle. L'Empire Romain ne comprenait plus que Constantinople, la rive ouest du Bosphore, une bande côtière le long de la Mer Noire jusque la ville de Messembria (Nesebar en Bulgarie) et une autre le long du littoral nord de la Mer de Marmara jusque dans les environs d'Eregli. En dehors de ces territoires, le Basileus disposait d'une suzeraineté toute théorique sur l'île de Lemnos, dont les archontes jouissaient de fait d'une large indépendance. Fait significatif, 80% des impôts levés sur l'île allaient directement dans les caisses du Sultan Ottoman. L'empire avait aussi le droit de collecter des impôts dans la vallée du Vardar en Macédoine. Et bien sûr, il y avait le Despotat de Morée, qui comme nous l'avons déjà vu était largement indépendant. Encore que ce dernier était partagé entre les deux frères de Constantin. Thomas Paléologue, de sa capitale de Clarentza gouvernait l'ouest et le nord de la Morée, et son frère Démétrius l'est et le sud depuis Mistra. Les deux frères se haïssaient d'une haine profonde et aussi sincère que peuvent l'être les haines fraternelles. Dès octobre 1449, ils commencèrent à se chamailler, chacun faisant appel à l'appui des Turcs! Constantin XI interviendra personnellement en vain, et c'est Mehmet II par la personne de son général Tourakhan Beg qui forcera involontairement les deux frères à se réconcilier. Temporairement! Car ils cherchaient constamment comment nuire à l'autre.

Signe de la décrépitude de l'Empire, c'est à bord d'une galère vénitienne que Constantin XI embarquera pour Constantinople où il arrivera le 12 mars 1449. Il n'y avait plus de navire impérial digne de porter un Basileus!

La première chose que fit Constantin, ce fut de s'efforcer de maintenir la paix avec les Ottomans. Il arrivait en effet comme je l'ai déjà dit à la tête d'un empire agonisant, mais qu'il était déterminé à sauver malgré ses caisses vides, son armée et sa marine presque inexistante.

L'une des conditions de cette survie était qu'il ait un héritier. Et pour avoir un héritier, il faut en général une femme et surtout à l'époque une épouse. Mais les monarques pouvant souhaiter voir devenir une de leur fille Basilissa des Romains étaient devenues rares, l'empire ayant perdu tout son prestige... Les démarches commencèrent après la mort de Mourad II en 1451 et l'accession au trône de Mehmet II. Constantin envoya en ambassade George Sphrantzés demander la main de Mara Brankovic, fille du Despote serbe Durad Brankovic et de la princesse byzantine Irène Cantacuzene. Celle-ci venait de revenir chez ses parents du harem de Mourad II dont elle avait été libérée à la mort du Sultan Ottoman. Ce fut elle qui déclina l'offre, car elle avait juré que si "Dieu la libérait des mains de l'Infidèle, elle mènerait pour le reste de sa vie une existence de chasteté et de célibat durant toute sa vie terrestre". Pas de bol pour Constantin! Sphrantzes fut ensuite envoyé chez le "Grand Comnène" de Trebizonde Jean IV Calojean (1429-1458) où sa visite se révéla infructueuse. Il devait alors gagner le royaume géorgien de George VIII (1446-1476) pour négocier un mariage avec l'une de ses filles, mais les événements qui allaient se dérouler à Constantinople allait ajourner définitivement ces projets.

De tout ceci, que déduire de Constantin XI ? Déjà qu'il était un homme d'action plus qu'un diplomate. Puis qu'il était un chef énergique. Nous ne pouvons savoir s'il était un excellent stratège ou tacticien, mais s'il ne l'était pas, il avait l'intelligence d'écouter les conseils. C'était un homme pieux, véritablement croyant et dont la réputation d'intégrité se retrouve chez les historiens contemporains, grecs, latins ou turcs. Il était instruit, connaissait au moins dans les grandes lignes les grands classiques de l'Antiquité et avait des philosophes dans son entourage. Il ne semble pas non plus avoir été débauché, les chroniques en relatant rien de scandaleux à son sujet. Comme nous le verrons, il pouvait se montrer impitoyable, mais n'était pas particulièrement cruel et certainement pas sadique. Il savait susciter des amitiés solides et du loyalisme chez ses collaborateurs.

 b) Lucas Notaras

La famille de Notaras était originaire de Monemvasia, principal port du Despotat de Morée (qui armait surtout des corsaires). Cependant, c'est avec le commerce maritime que la famille Notaras avait accumulée une immense fortune. Celle-ci l'aida à s'élever dans les échelons de l'administration du Despotat et il sera remarqué par Constantin Paléologue pour son habileté. A son avènement comme Basileus, il lui donnera le titre de Mégaduc (Grand Duc ou plus correctement Grand Amiral). Ce titre donnait jadis le commandement de la flotte impériale, mais du fait de la quasi disparition de celle-ci, le Mégaduc était devenu une sorte de Premier Ministre qui chapeautait toute l'administration impériale.

On lui prête à tort la phrase suivante "Je préférerais voir au milieu de la Ville (Constantinople) le turban du Sultan plutôt que la Mitre du Pape". Notaras prendra en fait grand soin à ménager les deux camps (Unionistes et Anti-Unionistes) pour éviter des émeutes ou une guerre civile dans la ville, ce qui le fera détester des extrémistes des deux camps! En tant que Mégaduc, il jouera un grand rôle dans les événements à venir.

c) Giovanni Giustiniani Longo, le condotierre

On ne sait que peut de chose de Giustiniani, car les porteurs de ce nom ne manquaient pas à Gênes. Il existait une famille Giustiniani fort importante dans cette ville dont les membres essaimèrent en Corse, en Sardaigne et dans plusieurs îles de la Mer Egée, dont Chios où ils se livraient à l'exploitation du mastic fait à partir de la résine des pistachiers. Notre homme aurait été podestat (premier magistrat) de Caffa (Theodosia, Crimée, Ukraine). L'année 1452 le voit dans les environs de Chios. Avec des navires armés par ses soins, il attaquait alors les vaisseaux ennemis de Gênes, et parfois des navires de commerce Ottomans, ce qui fait que les historiens l'ont souvent qualifié de "corsaire" ou de "pirate" sans que l'on puisse trancher de façon définitive quel terme est le plus exact. Il semblerait par ailleurs qu'il était plutôt jeune (trentaine d'années au maximum), plusieurs auteurs faisant ressortir sa jeunesse. Si certains l'ont taxé "d'inexpérimenté", cela ne semble pas être du fait d'une inexpérience militaire, mais plutôt d'une inexpérience du combat livré dans certaines conditions, comme nous le verrons plus loin.

d) Leonard de Chio.

Ce Leonard était un grec converti au catholicisme romain. Fait évêque catholique de Mytilène et Lesbos par le Pape Eugène IV, il était un fervent partisan de l'union entre les églises et apporta son soutien total à Constantin XI qui tentait de rendre effective l'acte d'union signé à Florence quelques années plus tôt. Le Pape l'envoya pour conclure celle-ci à Constantinople en compagnie de l'évêque de Kiev Isidore (byzantin de naissance) et d'archers crétois qui furent les bienvenus!

 

e)Mehmet II, jeune souverain d'un jeune empire

Mehmet II par Gentile BelliniSeptième sultan de l'Empire Ottoman, Mehmet II n'était pas malgré une "légende noire" diffusée par des historiens hostiles aux Ottomans une brute sadique, pas plus qu'il n'a de ressemblance avec les musulmans extrémistes de nos jours, mais avant d'entrer dans ces considérations, commençons par le début...

C'est le 30 mars 1432 à Edirne que naît Mehmet. Son père était le Sultan Mourad II et sa mère la Sultane Hüma Hatun. A onze ans, il est envoyé à Amasya pour faire son éducation en tant que gouverneur de cette province, ce qui était une pratique normale à l'époque.

Il reçut une éducation islamique qui aura une influence profonde sur son esprit en renforçant ses croyances et à l'amenant à favoriser l'établissement de la Charia. Ceci ne nous semble pas très progressiste, mais il faut tenir compte du contexte et se rappeler que l'Occident Chrétien pratiqua le supplice de la roue jusqu'au 18ème siècle et l'écartèlement des régicides! Entre une mauvaise loi ou l'absence de loi... Mahomet subira particulièrement l'influence du Mollah Gürani et celle de Ak Semseddin. Ce dernier lui inculqua la conviction que pour remplir son devoir envers l'Islam il devait s'emparer de Constantinople, pensée qui ne le cessera de le hanter. Mahomet II était censé savoir s'exprimer couramment en grec, latin, perse, arabe et hébreu. Il était assez versé en théologie pour discuter des points de doctrine avec des assemblées d'ulémas et ne craignait pas non plus de disserter sur des questions de théologie avec des religieux chrétiens catholiques ou orthodoxes. En fait, certains intellectuels "byzantins" rêveront quelque temps après la chute de Constantinople de parvenir à le convertir au christianisme orthodoxe! Ajoutons qu'il était aussi poète à ses heures perdues et qu'il avait un joli coup de crayon, laissant derrière lui plusieurs caricatures.

Avait-il cependant une moralité irréprochable? Certains historiens byzantins contemporains comme Doukas ChalKokondyles ont assuré qu'il était bisexuel. Il semblerait que cette assertion soit surtout le témoignage d'une propagande anti-turque de l'époque comme nous le verrons plus loin.

Mais, à peine un an plus tard, Mourad II abdiqua le pouvoir après avoir signé la paix avec l'Emir du Karaman. Il laisse le pouvoir à Mehmet II après lui avoir envoyé un grand nombre d'enseignants sous le contrôle du grand vizir Candarli Halil.

L'arrivée au pouvoir d'un prince aussi jeune incita les Byzantins et des Occidentaux à entreprendre une croisade contre les Turcs. Celle-ci remporta des succès initiaux qui obligèrent Mehmet II et son grand-vizir à faire appel à Mourad II. Ce dernier, qui avait choisi de mener une vie contemplative, se fit prier, mais revint pour écraser la Croisade à Varna, comme nous l'avons vu plus haut.

Le 3 février 1451, il héritait de la totalité du pouvoir à la mort de son père...

f) Zaganos Pacha, le Janissaire

Conseiller et mentor de Mehmet II pour la stratégie, Zaganos Pacha était né dans une famille chrétienne avant d'être enlevé jeune à sa famille (entre 7 et 10 ans) pour être membre des Janissaires, selon le système du Devsirme, et converti de force à l'Islam. Endoctriné et fanatisé, il devint un ennemi acharné des chrétiens et était réputé être l'un des chefs militaires les plus cruels de son temps. Dès la naissance de Mehmet, il liera son destin à ce dernier et sera d'une loyauté absolue envers celui-ci. Il était convaincu que l'Empire Ottoman devait mener une politique agressive de conquête pour dominer ses adversaires déclarés ou potentiel. Zaganos haïssait le Grand Vizir Halil Pacha dont il convoitait la position

g) Suleïman Baltoglu, l'amiral bulgare

Comme signalé plus haut, Suleïman Baltoglu était un bulgare converti à l'Islam. Gouverneur de Gallipoli, il recevra le commandement de la flotte Ottomane chargée d'intercepter toute tentative d'entrée ou de sortir de Constantinople. 

h) Halil Pacha (nom complet : Candarli Halil Pacha)

Il gouverna l'empire Ottoman à deux reprises sous le règne de Mourad II, notamment quand ce dernier se retira pour laisser sa place à son fils Mehmet II alors mineur. C'est lui qui organisera la révolte des Janissaires qui aboutira à la destitution de Mehmet II et au rappel de son père. La mésentente entre Mehmet II et son grand visir Halil était notoire, mais la famille de ce dernier était immensément riche et très puissante, ce qui faisait que Mehmet II était obligé de le ménager.

 i) Ishak Pacha

Il était un général Ottoman d'origine croate ou grecque. Les sources sont confuses sur ce point. Gouverneur des provinces d'Anatolie, il était un ami fidèle de Mourad II et était hostile à Halil Pacha.

  

III) La ville 

a) Brève histoire urbaine de Constantinople

En 1453, cela faisait longtemps que la ville fondée (ou plutôt refondée) par Constantin Ier en 330 après Jésus Christ avait presque totalement disparue. Incendies, tremblements de terre et émeutes avaient semé leur lots de destruction. Pour donner une idée, les archéologues turcs actuels doivent creuser à plus de sept mètres de profondeur sous le sol de la ville d'aujourd'hui pour atteindre les niveaux du 4-5ème siècle! Bien évidemment, une telle élévation du sol ne s'est pas faite en un an, mais est le résultat des destructions/reconstructions qui se succédèrent au fil des siècles (16 siècles en tout).

La ville romaine fondée par Constantin et embellie par Justinien avait beaucoup changée lors des "siècles noirs" entre le 7ème et le 9ème siècle qui vit sans doute la population de Constantinople décroître à peut être moins de 100000 habitants, malgré l'arrivée de réfugiés fuyant les raids musulmans et slaves. Une autre, ville, plus orientale se développa lors de la période Macédonienne (10ème et 11ème siècle) et lors de la période Comnène (12ème siècle). Alors, tout comme sous Justinien, la population de la ville devait largement dépasser les 300000 habitants. A titre de comparaison, à l'époque Paris n'en comptait pas plus de 50000! Mais le sac de la ville par les Croisés en 1204, avec deux incendies dévastateurs qui consumèrent une grande partie de la ville la ruinèrent.

Les Empereurs Latins n'eurent jamais moyen de la restaurer dans sa splendeur passée. La population de la ville lors de sa reconquête par Michel VIII Paléologue (1258-1282) en 1261 était inférieure à 100000 habitants.

Ce dernier tentera de redonner son éclat d'antan à la ville impériale en y déportant des paysans d'Asie Mineure et de Thrace, en restaurant certains monuments et en construisant d'autres. Ses successeurs Andronic II (1282-1332) et Andronic III (1328-1341) tenteront malgré une détresse financière de plus en plus profonde de maintenir cet élan, mais la population de la ville ne dépassera pas les 200000 habitants malgré l'afflux de réfugiés fuyant les Turcs, les mercenaires Catalans (Amulgavares) et les horreurs de la guerre civile.

L'effondrement financier de l'état, conjugué à la Peste Noire de 1347 aura raison de ces efforts. Ainsi, Jean V Paléologue (1341-1391) aura les plus grandes difficultés pour restaurer Sainte Sophie endommagée par le tremblement de terre de 1354

Quel visage présentait alors la ville?

File:Byzantine Constantinople eng.png

 

Si la statue de Justinien caracolait toujours au sommet de sa colonne sur l'Augusteon, tenant dans sa main gauche un globe tandis qu'il désignait l'Orient de sa main droite, l'Hippodrome, lui, n'était plus qu'une ruine où la jeunesse dorée de Constantinople se défiait dans des compétitions équestres. Le séisme de 1354 avait eu raison du Grand Palais qui avait été résidence des Basileus de Constantin Ier aux Comnènes et des troupeaux de moutons y paissaient. Sur la Mer de Marmara, le complexe palatin du Boukoleon était délabré et inhabitable. L'ambassadeur castillan Clavijo qui fut reçu au Palais Impérial des Blachernes en 1403 le trouva mal entretenu. Sainte Sophie elle-même était entourée d'édifices ruinés ou délabrés qui abritaient jadis des moines ou des religieux. La plupart des couvents de la ville étaient dans un profond état de décrépitude. Les forums impériaux avaient depuis longtemps disparus ou étaient ruinés.

En se promenant à l'intérieur même de l'enceinte de Constantin, on pouvait avoir plus l'impression de se promener à la campagne que dans une ville!

La vie urbaine ne subsistait plus guère que le long de la Corne d'Or entre l'actuel Palais de Topkapi et les Blachernes. Ailleurs, il y avait des hameaux, des champs cultivés, des pâturages, des friches, des monastères et de grandes propriétés privées. La population était en majeure partie grecque, mais la ville abritait aussi des communautés juives, bulgares, arméniennes, arabes, turques et italiennes.

Une bonne partie des intellectuels byzantins, ceux qui formèrent le noyau de ce que l'on appela non sans justesse "la Renaissance des Paléologues" avaient gagné Mistra, Trébizonde ou l'Italie, le plus loin possible de la menace Ottomane, de même que beaucoup de puissants. Parmi ceux qui restaient, bien peu payaient les impôts impériaux : leur fortune était à Venise ou à Gênes sous la forme d'actions et de commandites. Le pauvre Basileus n'avait d'ailleurs guère d'autorité dans sa ville même : pour alimenter les caisses désespérement vide du Trésor Impérial, il avait cédé celle-ci quartier par quartier sous forme de concessions à des marchands venus de tous les ports de l'Europe Occidentale, de Raguse à Narbonne!

 

b) Les fortifications de la ville - leur histoire - les différents sièges

En 1453, l'enceinte de Constantin Ier était ruinée depuis longtemps. Mais les choses étaient différentes pour la muraille de Theodose II. Même si l'empire Romain d'Orient n'avait pas eu les moyens et le temps de réparer tous les dégâts des séismes et des sièges successifs, elle formait toujours un formidable obstacle que nul jamais n'avait pu franchir.

Certes, en 1204 les Croisés s'étaient emparé de la ville. Mais c'était à partir de la Corne d'Or où leur flotte s'était ancré. Comme normalement l'entrée de celle-ci était protégé par une forte chaîne et des navires de guerres, les remparts étaient là moins hauts et peu épais.

Constantinople est en effet une ville de forme grossièrement triangulaire, avec la pointe orientée à l'est. Sur son côté sud, la ville est baignée par la Mer de Marmara, à l'est par le Bosphore. Au nord, la "Corne d'Or" est un ancien estuaire inondé large de plusieurs centaines de mètres et long de plus de sept kilomètres pouvant être barré par une chaîne monumentale. La ville n'était donc accessible par voie terrestre que depuis son côté ouest.

C'est de ce côté que fut construit entre 408 et 413 sous le règne de Théodose II (408-450) les remparts de la ville. Ceux ci ne cessèrent d'être entretenus et complétés jusqu'en 1204.

Il existait en effet à l'extrémité nord du rempart un hiatus entre les rives de la Corne d'Or et le rempart. Une pente raide dans le sens est-ouest empêchait en plus de protéger ce dernier par un fossé. Ce secteur est protégé successivement par le rempart de Manuel Ier Comnène (1143-1180) de 220 mètres de long avec ses huit tours octogonales ou circulaires (plus une carrée), puis par un autre mur plus récent (entre 1180 et 1188) long de 150 mètres avec 4 tours carrées et enfin un troisième mur double. La partie extérieure celui-ci est attribuée avec certitude à Léon V l'Arménien (813-820) pour contrer une attaque des Bulgares. L'intérieur est attribué par les historiens soit à Héraclius (610-641), soit à Théodose II.

Pour en revenir au rempart principal, l'état de ce dernier laissait à désirer en 1453. Toutefois, il demeurait un obstacle imposant. Long de plus de six kilomètre, il se composait d'une double muraille.


 

 

D'éventuels agresseurs devaient d'abord franchir une douve de 20 mètres de large et dix de profondeur. Celle-ci courait de la Mer de Marmara jusqu'à hauteur des Blachernes et du rempart de Manuel Ier Comnène où elle s'interrompait avant de reprendre jusqu'à la Corne d'Or, suite à des travaux ordonnés par Jean VI Cantacuzène (1347-1354). Un mur crénelé de 1,50 mètre de haut pouvait servir de première ligne de défense. Les douves pouvaient être inondés près de la Mer de Marmara ou de la Corne d'Or.

Vingt mètres plus loin venait le rempart extérieur de deux mètres de largeur pour une hauteur proche de neuf mètres. Couronné d'un chemin de ronde crénelé et doté de tours carrées de 12 à 14 mètres de haut pour quatre de large tous les 50 à 66 mètres selon le terrain, c'est là que sera établi la ligne de défense en 1453 tout comme lors du siège de 1422.

Après une terrasse de 15 à 20 mètres de large, vient le mur intérieur de 12 mètres de haut pour une épaisseur variant entre 4,50 mètres et six mètres avec 96 tours rectangulaires, reliés par des courtines de 40 à 60 mètres.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il n'y avait pas un homme armé jusqu'aux dents derrière chaque créneau : les armées permanentes coûtaient cher! Aussi, la garde des remparts avait toujours été faite par de petits contingents de la Garde Impériale et le Guet, renforcés si besoin par des milices levés dans la population. Cela avait toujours suffit. Il ne faut d'ailleurs pas oublier qu'avant l'artillerie la plupart des places fortes tombaient réduites par la faim, la soif... ou la trahison! Et les voies de circulation permettaient à la garnison de se porter rapidement sur les points menacés pour y concentrer ses efforts.

Cette enceinte était percée de portes qui sont autant de point de repère dans l'histoire.

En partant du sud (de la Mer de Marmara), nous trouvons d'abord la "Porte http://pages.pomona.edu/~sg064747/travel/images/Turkey/Fortifications/1024-YedikuleGoldenGate.jpgd'Or" (Altinkapi). Celle-ci était au départ un arc de triomphe gigantesque, le plus grand du monde romain. Cet arc à l'origine surmonté de statues fut édifié soit en 394-395, soit en 423-425 (les historiens sont divisés). Elle servait d'entrée triomphale pour l'empereur victorieux et remplira ce rôle jusqu'à l'entrée de Michel VIII Paléologue dans la ville reconquise en 1261. Par la suite, devant la menace Ottomane, elle sera fortifiée, ses portes latérales murées et l'ouverture de la porte principale fortement diminuée.

XylokerkosVient ensuite la "Porte de Belgrade" ou Xylokerkos, qu'il faut éviter de confondre avec la fameuse Xyloporta par où entrèrent les premiers Ottomans à pénétrer dans la ville, si toutefois celle-ci a existée!

Au nord de la Xylokerkos se trouve la "Porte de Selymbria" ou "Porte de la Source", dans la banlieue moderne de Balikli. C'est par là que les soldats du général Alexis Strategopoulos  pénétrèrent dans la ville alors au main des Latins le 25 juillet 1261.


La porte de Selymbria

La porte de Rhegion

La Porte de Rhegium (Küçükçekmece) qui vient ensuite est dans un état très proche de celui qu'elle avait au 5ème siècle de notre ère. Elle a subi peu de modifications à travers le temps et n'a pas été l'objet de restauration abusive.

La Porte Saint RomainSeconde porte la plus large de l'enceinte avec ses 26,5 mètres, la Porte de Saint Romain vit périr Constantin XI dans ses environs. Elle est aussi nommée "Porte du Canon" (Topkapi) par les Turcs. C'est là que fut placé en 1453 le canon géant conçu par Orban. C'est aussi au nord de cette porte que les Ottomans réussirent à percer les murailles de la ville.

La porte suivante, celle de Charisios ou "Edirnekapi" (Porte d'Andrinople) est la Porte de Charisiosporte la plus importante de l'enceinte après la "Porte Dorée". C'est là que se tenait le plus souvent Constantin XI lors du siège. Elle est en effet située au point culminant de la ville, à une hauteur de 77 mètres. C'est par cette porte que Mehmed II fera son entrée dans la ville.

 

 

Outre ces portes, il Poterne dans les remparts de Constantinopleavait des poternes donnant sur le fossé extérieure. L'une d'entre elle, la Kerkoporta aurait été fatale aux Byzantins. Son emplacement exact, proche de la liaison entre le mur de Théodose est celui de Manuel Comnène est aujourd'hui perdu en raison des modifications et réparations que les remparts reçurent. Ils seront en effet la principale défense de la ville jusqu'au 19ème siècle.

 

Cette muraille (où plutôt ces murailles) avaient permis à l'Empire de repousser les assauts des Avars, Slaves et Perses en 626, des Arabes en 674-678 et 717-718, des Bulgares en 813, des "Varégues" (Slaves et Scandinaves de Russie) en 860, 907 et 941, des troupes rebelles de Thomas le Slavonien en 821-822 et de Léon Tornikios en 1047, des Bulgares et des Nicéens en 1235, des Nicéens en 1260, des Ottomans en 1390-1402 et 1422...

 


V) Querelles entre l'Orient et l'Occident chrétien

Pour survivre, l'Empire avait absolument besoin du secours des royaumes d'Occident pour avoir une chance en cas de guerre avec les Ottomans. Mais pour différentes raisons, cette aide était peu évidente à obtenir!

 

a) Le Schisme de 1054

Cette date est en fait purement symbolique, car le contentieux entre l'Occident et l'Orient remonte à la divergence culturelle croissante entre les deux parties du bassin méditerranéen à partir du 7ème siècle. Se sont ajoutés à cela des conflits entre la Papauté Romaine et le Patriarcat de Constantinople pour savoir de qui allait relever les Slaves et Bulgares nouvellement convertis. Les dirigeants, Basileus de Constantinople, Empereurs Francs Carolingiens et Germaniques y ajoutèrent leurs grains de sel ce qui creusera peu à peu un fossé entre Rome et Constantinople. Si la date de 1054 fut choisie au 19ème siècle pour symboliser cette rupture, celle-ci est intervenue bien avant et était latente dès le 9ème siècle.


b) Propagande antibyzantine et hostilité à l'Occident

Dès avant les Croisades se développa en Occident une propagande anti-byzantine initiée notamment par le royaume Normand de Sicile. La conduite parfois trouble des Romains d'Orient lors des Croisades permit d'attribuer leur échec à une "trahison des Grecs". Selon cette propagande ces "Grecs lâches, efféminés aux moeurs dissolus et hérétiques complotaient contre les Braves Soldats du Christ pour les livrer aux Infidèles". On brocardait ces étranges chrétiens aux coutumes bizarres qui se prosternaient devant leur empereur couvert d'or et vêtu de pourpre qu'ils vénéraient comme une idole.

Les Byzantins avaient sur les Occidentaux leurs propres stéréotypes. Surtout après 1204, les Occidentaux sont pour eux des pirates cruels et cupides. Les musulmans, turcs ou arabes sont ouvertement préférés et louangés pour leur tolérance. Les Romains d'Orient les sentent plus proches d'eux que les "Francs". S'ils reconnaissent leurs qualités d'intrépidité, ils les estiment stupides et les prirent pendant longtemps comme de purs "barbares"!

 

c) Les tentatives d'Union et leurs échecs - Le dilemme du Basileus

Tout ceci fait qu'à partir de 1350 surtout, les Basileus se trouveront pris dans le dilemme suivant : pour sauver leur empire des Ottomans et des autres Turcs, ils doivent obtenir de l'Occident l'organisation d'une Croisade contre ceux ci. Mais pour y parvenir, il leur faut reconnaître la primauté de l'Eglise Romaine et aplanir les différences de conception et de pratiques que le temps avait amené entre les Eglises Catholiques et Orthodoxes. Or, la majeure partie de leurs sujets et du clergé Orthodoxe croyaient qu'un tel accord serait non seulement souscrire à une hérésie, mais aussi se damner. Si le Basileus voulait donc rester en accord avec son peuple, il était certain de ne recevoir aucune aide de l'Occident et de voir son état disparaître à brève échéance. S'il passait outre pour sauver son état, il courait le risque d'une guerre civile et de périr. Car si pour les Romains d'Orient la fonction impériale était sacrée et l'Empereur le 13ème Apôtre du Christ, ceci ne s'étendait qu'à la fonction mais pas à la personne physique de celui qui était le Basileus! Il n'était que dépositaire de la fonction et si Dieu le désavouait, il était légitime de le remplacer par une autre personne bénéficiant de l'onction divine....

Cette union entre les chrétientés orientales et occidentales avait pourtant été solennellement prononcée le 6 juillet 1439 à Ferrare. Mais l'opposition populaire était telle tant dans le peuple que dans le clergé que les Basileus Jean VIII et Constantin XI s'étaient bien gardés de la proclamer publiquement à Constantinople!

 

d) Situation politique de l'Occident Chrétien à l'époque.

Frédéric III devint suite à son élection et à son couronnement  par le Pape àL’empereur Frédéric III Rome le 19 mars 1452 Empereur Romain Germanique. Las, il avait bien d'autres chats à fouetter que Constantinople! La Bohême, dont le Roi était l'un des Grands Electeurs de l'Empire avait alors comme souverain le très jeune prince Ladilas V, roi de Bohême et de Hongrie âgé de 11 ans. Frédéric III était son tuteur et il choisit pour administrer la Bohême Georges Podrébady. Mais ce dernier est un Hussite, membre d'un mouvement annonçant le Protestantisme qui réclamait une réforme en profondeur de l'Eglise Catholique. Certes, Georges Podrébady était un modéré adepte du compromis, mais le fait est un révélateur de l'affaiblissement de l'autorité impériale en face des grands féodaux et de la tension croissante autour des questions religieuses. Frédéric III sera d'ailleurs le dernier empereur Romain Germanique a être couronné à Rome.

L'Angleterre ou la France pouvaient-elles faire quelque chose pour Constantin XI? Que nenni! La phase finale de la fameuse "Guerre de Cent Ans" est en train de se jouer et le 17 juillet 1453 les Français écraseront les Anglais en Aquitaine, à Castillon, mettant fin grâce à l'emploi de canons chargés de mitraille au conflit d'une façon sanglante et définitive. Autant dire que ces deux royaumes avaient lancés toutes leurs forces dans la bataille et n'étaient pas disposés à envoyer quelque force que ce soit contre des Turcs Ottomans plutôt lointain pour le secours d'un empire certes chrétien, mais hérétique et agonisant.

Alphonse V d'AragonLe Royaume d'Aragon était alors l'une des puissances majeures de la Méditerranée Occidentale. Il comprenait la majeure partie de l'est de l'Espagne, les Baléares, la Sardaigne, la Sicile et le sud de l'Italie conquis en 1442. Alphonse V d'Aragon (1416-1458) était alors l'un des souverains les plus puissants d'Europe. Lui pouvait faire quelque chose, mais il était plus occupé à gérer ses domaines dispersés, à profiter du climat de la péninsule et à protéger les arts et lettres. Il permettra aux Byzantins de s'approvisionner en Sicile en bois et matériaux divers, mais ne se livrera à aucune action contre les Ottomans. Pour aider Constantin XI, il avait donné son prix : il voulait Selymbria près de Constantinople. Constantin qui le soupçonnait de vouloir mettre la main sur la ville impériale lui proposa Lemnos... et les choses en restèrent là!
Jean Hunyadi, régent de Hongrie (1446-1452) venait de céder le pouvoir au jeune Ladislas V (le roi de Bohême et de Hongrie cité plus haut).  Les Hongrois venaient d'être sévèrement étrillé par les Ottomans et ils pensaient plus à reformer leur armée et à fortifier leurs frontières que d'intervenir contre Mehmet II.

La Papauté seule était prête à secourir Constantinople en appelant à la CroisadePape Nicolas V contre les Turcs. Seul problème, et de taille, la Papauté n'avait plus l'influence temporelle qu'elle avait eu au 11ème - 13ème siècle. Le pillage de Constantinople en 1204 et la perte de la Terre Sainte (1291) avait sanctionné l'échec des Croisade. Déjà Louis IX (dit Saint Louis) passait pour un homme d'un autre temps quand il organisa ses Croisades de 1248 et de 1270. Le pragmatisme l'avait emporté sur la religion! Et le Pape était bien incapable désormais d'imposer sa volonté à des souverains absolutistes ou même à des républiques comme Venise. Le Grand Schisme des années 1378-1418 était certes résolu, mais il avait eu comme conséquence que les décisions des Conciles primaient désormais sur les volontés du Pape. Ce dernier, Nicolas V (1447-1455), un Humaniste, était d'ailleurs fort occupé à réformer l'Eglise Catholique pour lui rendre tout son lustre et son unité. 

 

e) Ambiguîtés des italiens : soutenir un empire moribond ou se concilier Mehmet II pour établir de futures relations commerciales et garder leurs intérêts?

Même chez les républiques italiennes comme Gênes ou Venise, Constantin XI n'allait trouver que peu d'aide en raison des deux points de vues s'opposant quant à l'opportunité d'une intervention contre les Ottomans. Le camp "pro-byzantin" estimait que l'existence de l'Empire servait leurs intérêts en ce sens qu'il était plus facile et profitable de traiter avec un état exsangue qu'avec un sultanat puissant. Le camp des "pragmatiques" estimait que Constantinople chrétienne ne valait pas la peine de s'aliéner les Ottomans avec lesquels il faudrait de toute façon faire des accords et du commerce. L'affrontement des deux camps ne peut pas mieux s'illustrer que sur le cas de Venise dont le Sénat, après bien des discussions décidera d'envoyer une flotte de secours avec 2000 hommes d'armes vers Constantinople. Cela fera fait si tardivement que la flotte vénitienne n'entrera dans la Mer Egée que pour apprendre par des réfugiés la chute de la ville!

Le monde orthodoxe ne pouvait pas non plus apporter de l'aide à Constantinople. Trébizonde était trop faible, la Russie se relevait à peine de la domination mongole et les autres états étaient déjà soumis aux Turcs. Seuls les Albanais de George Kastrioti qui mènent depuis 1443 une guérilla contre les Ottomans lui apporteront une aide indirecte qui sera bien insuffisante pour gêner Mehmet Ier cependant.

 

 

VI) Les forces en présence.

 a) L'armée et la marine byzantine

Soldats Byzantins (vers 1350)A l'époque de Michel VIII Paléologue (1258-1282), l'armée byzantine comptait 20000 hommes, dont 5000 dans des forteresses. Mais en 1321, en raison des coupes budgétaires opérées par Andronic II elle ne comptait plus que 3000 hommes. Quand il tenta pour la dernière fois en 1329 de restaurer une frontière stable en Asie Mineure, Andronic III (1328-1341) ne put réunir que 2000 hommes qui furent défaits logiquement par les 8000 Ottomans et alliés d'Orkhan à Pelekanon. En 1453, elle ne comptait plus que 1500 hommes, en garnison pour la plupart à Constantinople.

Il n'y avait à proprement parler plus de Garde Impériale. La protection du Basileus reposait surtout sur le personnel du Palais et le coeur de ce qui restait de forces armées était composé d'archers Crétois. La Crète était sous domination vénitienne depuis 1204, mais un fort sentiment de loyalisme persistait dans sa population envers l'Empire Romain d'Orient.

Cette armée était essentiellement équipée de boucliers et de lances. L'arbalète et l'arc était les armes de jets les plus communément utilisé, mais certains était équipés d'arquebuses à mèches. Ces armes, fort imprécises, n'avaient qu'une portée effective d'une cinquantaine de mètres et étaient longues à recharger, si bien qu'un archer ou un arbalétrier demeurait de redoutables adversaires pour un arquebusier.

L'artillerie se limitait à quelques pièces de petit calibre pour lesquels on manquait du salpêtre nécessaire à la fabrication de la poudre noire. Placées initialement sur des tours et des murailles, elles en seront bien vite retirées, leurs tirs provoquant des vibrations dangereuses pour les murailles. 

La marine n'existait pour ainsi dire plus après une ultime tentative de renaissance sous Andronic III (1328-1341). On ne comptait plus en 1453 que dix navires Romains d'Orient au maximum dans la Corne d'Or, tous de petits tonnages, encore la majorité était des Génois au service de l'Empire! 

En tout, en comptant large, Constantin XI rassembla 5000 hommes, soldats, miliciens et volontaires, mais de ce total, à peine la moitié étaient des combattants aguerris...

Quant à l'arme secrète des Romains d'Orient, le feu grégois, cela faisait longtemps qu'elle n'était plus secrète. Pire, les tubes et les pompes servant à projeter ce liquide inflammable étaient dans un état terrible.

  b) Les mercenaires italiens (et autres)

Pour compléter ses effectifs, Constantin XI pouvait cependant compter sur des mercenaires ou des volontaires étrangers.

En premier lieu, les 700 Génois de Giovanni Giustiniani et l'ingénieur "Johannes Grant", sans doute un anglais ou un allemand. Ce sont en majeure partie des arbalétriers dont les tirs feront des ravages dans les rangs ottomans. Si l'arbalétrier à une cadence de tir moindre que celui d'un archer, ses traits portent plus loin et sont capable de transpercer les armures les plus solides!

On trouve aussi des Catalans qui sont entrés au service du Basileus et des Vénitiens, même si la plupart d'entre eux (700 hommes) prirent la poudre d'escampette le 26 février.

Et il y même des Turcs Ottomans! Ces derniers suivent la destinée du prétendant Orkhan. Celui-ci était un petit fils de Suleyman, fils de Bajazet Ier. Ce Suleyman avait tenté de s'imposer comme sultan contre ses frères après le désastre d'Ancyre (1402), mais avait été défait et tué (1411). Usurpateur en puissance, il avait passé presque toute sa vie à Constantinople pour rester en vie. Un "contrat" dont je reparlerais lie alors le Basileus au Sultan pour garder dans une prison dorée. En échange d'une pension, le Basileus s'engage à surveiller les actions de ce dernier et à l'empêcher de quitter Constantinople.

Leonard de Chio, grec converti au catholicisme, allait amener avec lui deux cents combattants expérimentés, des archers crétois, qui allaient s'avérer redoutables.

 

c) Les Turcs - Composition de l'armée

MehmetII réuni pour le siège l'une des armées les plus impressionnantes jamais vue jusque là. Elle comptait entre 50000 ou 100000 hommes selon les auteurs, 80000 étant le chiffre le plus probable. Les chiffres varient selon que l'on prenne en compte l'armée Ottomane proprement dite ou que l'on y ajoute tous les irréguliers qui l'avait rejointe dans l'espoir du butin et servirent à l'occasion de "chair à canon".

Cette armée ne comprenait pas que des musulmans, même si ces derniers étaient majoritaires. Des techniciens hongrois ou serbes comme le fameux Orban étaient employés comme ingénieurs en artillerie et en technique de sièges. Le roitelet serbe Durad Brankovic, qui avait en 1449 donné de l'argent à Constantin XI pour permettre la restauration d'une tour de l'enceinte, participait avec 1500 cavaliers serbes au siège de la ville. On trouvait aussi des chevaliers occidentaux, en petit nombre toutefois.

L'armée Ottomane comptait dans ses rangs essentiellement des cavaliers, comme les Sipahis (Spahis), dont 5000 hommes constituant une unité d'élite. A côté d'eux, les Timariots (30000?) étaient des cavaliers légers, réputés plus disciplinés que les Sipahis, bien que moins aguerris en général. Devant Constantinople, tous ces hommes équipés de lances, de boucliers, d'arc et de sabres se battront à pied.

Les "Bachi-Bouzouks" si cher au Capitaine Haddock étaient aussi des cavaliers légers à l'équipement hétéroclite et à la discipline plutôt... lâche. Ils étaient d'ailleurs des mercenaires payés pour la durée de la campagne et attirés par la perspective du butin Ils étaient souvent chargés de missions de reconnaissance ou utilisés pour des opérations de représailles contre des populations en révolte contre le sultan.

Les fameux Janissaires (6000 hommes) formaient l'épine dorsale de l'infanterie et un corps d'élite. Leur recrutement était assez... original. Bon an, mal an, les Ottomans enlevaient à leurs familles des milliers d'enfants chrétiens âgés entre 10 et 15 ans. Ils étaient réduits en esclavage et effectuaient un "noviciat" durant lequel ils étaient convertis à l'Islam et fanatisés par des membres de la secte musulmane des Bektachis. On leur enseignait aussi l'art de la guerre. Cette unité, créée vers 1350 ne tarda pas à devenir une sorte d'état dans l'état et à développer un esprit de "corps" dangereux. Ils étaient en position de faire ou de défaire les sultans et Mehmet II les craignait assez pour développer sa propre garde faite d'hommes en lesquels il avait toute confiance. Néanmoins, ils étaient la meilleure infanterie de l'époque. Malgré leur statut d'esclave, ils pouvaient espérer atteindre de hautes fonctions dans l'état Ottoman (vizirat, par exemple).

L'infanterie ottomane comptait aussi des hallebardiers dans ses rangs.

La marine Ottomane se composait de 126 navires (6 grandes galères, 10 de taille moyenne et 15 petites auxquels s'ajoutaient 75 grandes barques et 20 cargos équipés pour le transport de chevaux, d'hommes et de matériel). Mehmet II l'avait considérablement augmenté pour le siège de Constantinople en faisant tourner à plein les chantiers naval de Gallipoli. Très supérieure en effectif à ses adversaires chrétiens, elle pêchait par le petit nombre de grandes unité et souffrait du manque d'expérience de ses chefs dans le commandement de flottes importantes, ce qui expliquera en partie les déconvenues qu'elle subira. Une bonne partie de ses effectifs n'étaient pas turcs : nombre de marins étaient des grecs des côtes égeennes de l'Asie Mineure ou des italiens.

Pour abattre les murs défendant Constantinople, Mehmet comptait sur l'emploi de l'artillerie. Celle-ci se composait de 70 canons, bombardes et mortiers, dont 14 bombardes en bronze de gros calibre avec l'énorme canon fondu par Orban.

 Ce dernier était transporté en deux éléments que l'on réunissait sur le lieu "d'utilisation". Pesant 19 tonnes, il nécessitait pour son transport 60 boeufs et 400 hommes! Il envoyait à environ 1500 mètres, sans trop de précision un boulet de pierre de 600 kilos environ (calibre 762 mm pour les connaisseurs). Le problème de ces pièces était qu'elles éclataient souvent : une fonderie fut d'ailleurs créée dès le début du siège pour refondre de nouveaux canons avec les débris de ceux qui avaient explosé. Bien évidemment l'explosion d'une pièce tuait ou blessait souvent gravement ses servants.... Ajoutons que la cadence de tir de celles-ci était faible en raison de la nécessité de laisser refroidir les canons de bronze (8 tirs par jour pour le monstre d'Orban!), que les projectiles étaient peu nombreux pour les plus grosses pièces et que la précision n'était pas souvent au rendez-vous, les instruments de visée étant quelque peu... rudimentaire, au point que certains tirs manquaient les tours et murailles! Par contre, l'effet moral des plus grosses pièces était indéniable. A côté de ces canons, les Ottomans continuaient à employer des catapultes gigantesques dont le chargement demandait deux heures d'efforts aux servants à raison de huit énormes projectiles par jour.

En parlant de moral, Mehmet II n'avait pas oublié de se faire accompagner d'innombrables muezzins, imans et ulémas qui fanatisaient ses soldats en leur rappelant les hadiths du Prophète Mahomet sur Constantinople. Ce dernier avait en effet prophétisé, selon le Coran, que la ville tomberait aux mains d'une armées de pieux fidèles conduits par un chef béni par Allah. Le seul problème était que la prise de la ville par les musulmans était considéré par Mahomet comme l'un des signes annonciateurs de la fin des temps dans la seconde partie du hadith! Mehmet s'arrangera pour que les religieux "l'oublient", jetant en prison ceux qui voulaient s'attacher au texte!

 

Pour résumer, Constantin XI et ses hommes devront se battre au mieux à 1 contre 11 (7000 hommes contre 80000). La supériorité en navire et en artillerie des Ottomans est écrasante.

La population de Constantinople espère aussi que le secours viendra du ciel. Chaque jour du siège, des religieux se promèneront à travers la ville, et sur les remparts en dehors des combats. Portant les icônes et les reliques les plus sacrées de l'orthodoxie, notamment celle de la Vierge -protectrice de la cité- ils entraînaient à leur suite des groupes se formant de façon spontanée chantant des psaumes. Mais le ciel les écoutera t-ils?

 

Constantinople 1453, la vraie histoire : le siège et ses conséquences

 

 



08/06/2013
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