L'ours polaire

L'ours polaire

Histoire des Chiricahuas (3e partie) : Géronimo

Résumé de la seconde partie : Après l'assassinat de Mangas Coloradas, c'est Cochise qui mène la révolte des Chiricahuas. Constatant la puissance croissante des américains et l'effectif déclinant de son peuple, il obtient une paix relativement favorable, mais décède peu après. La politique incohérente de Washington, les empiétements incessants des colons et la volonté de regrouper tous les Apaches à San Carlos rallument la révolte. C'est le chef des Mimbrenos, Victorio qui devient l'âme de cette dernière, mais il trouve la mort lors du massacre de Tres Castillo au Mexique en 1880. Son père spirituel, Nana le venge.

La situation dans le territoire de l'Arizona en 1880

 

 

« L'ouest Sauvage » vers 1880 devenait de plus en plus mythifié alors qu'il disparaissait de la réalité. Le "Wild West Show" du colonel William "Buffalo Bill" Cody, fondé en 1883, allait répandre dans l'est du continent américain et en Europe une image stéréotypé de ce monde en voie rapide d'extinction, image qui sera reprise par le monde du film "western".

 

Partout les indiens avaient été soumis, à l'exception des rebelles Apaches. Le dernier grand troupeau de bisons allaient définitivement disparaître lors de l'hiver 1882-1883 au Montana. Les barbelés apparaissaient pour délimiter les propriétés, signant la fin de « l'Open Range » et des grands espaces. Le chemin de fer, qui unissait l'Atlantique et le Pacifique depuis 1869, étendait peu à peu une véritable toile d'araignée à l'ouest du Mississipi. Il amenait vers les terres de l'Ouest un flot continu d'émigrants à la recherche de terres où s'établir et de qui rêvent de fortune rapide. Mieux encore, le train amène les premiers touristes. Des gens fortunés venus de l'Est commencent en effet à visiter l'Ouest attirés par la « nature sauvage » et le « pittoresque des paysages ». Dans le sud-ouest, ces nouveaux venus seront très intéressés par l'artisanat des Pueblos, Hopis et Navajos qu'ils achèteront d'abord comme curiosités avant d'y voir des œuvres d'art.

 

En 1882, le territoire des Chiricahuas allait être traversé par une ligne ferroviaire transcontinentale reliant le Texas à la Californie le long de la frontière mexicaine. La colonisation s'étendait rapidement dans l'ancien territoire des Apaches en général et des Chiricahuas en particulier, bien évidemment. Voies ferrés, routes, villes nouvelles, exploitations minières et ranchs protégés par un réseau de postes militaires s'y développaient très vite.

 

L'armée américaine vers 1880


Cavalerie américaine 1885

 

 

Il n'est pas inutile de jeter un œil sur l'armée des États Unis à cette époque. On est en effet très loin de la superpuissance actuelle et de son immense armée!

 

Si durant la Guerre de Sécession (1861-1865) ses effectifs avaient atteint le million d'hommes au lieu des 16637 (!) soldats d'active qu'elle comptait en 1860, elle allait ensuite être presque totalement démobilisée.

 

En 1882, elle ne comptait que 25000 soldats d'active répartis en 25 régiments d'infanterie, dont deux composés d'Afro-Américain, de 10 de cavalerie, cinq d'artillerie et de quelques unités de services. On s'y engageait pour une durée de cinq ans.

 

La solde était maigre et les conditions d'hébergements souvent précaire, surtout dans l'Ouest, bien évidemment. Aussi, les désertions étaient nombreuses. Généralement, on ne se donnait pas beaucoup de mal pour poursuivre les déserteurs : on comblait vite les vides en enrôlant des émigrants qui parlaient à peine l'anglais et étaient bien content de trouver un repas assuré!

La qualité de ces soldats variait du médiocre au passable, à l'exception d'unité « d'élite » comme le 7ème de Cavalerie ou les « Buffalos Soldiers ». La majeure partie du temps, les guerriers indiens, surtout ceux des Plaines, avaient peu d'estime pour eux et les méprisaient.

Ils présentaient aussi une image bien différentes de celle des soldats si élégants des films de John Ford (« La charge héroïque »)

 

 

la réalité était plutôt celle montrée dans ce documentaire de la BBC sur Little Big Horn montrant le 7ème de cavalerie, soit l'une des unités la mieux tenue de cette armée à cette époque. Voici un extrait (1)

 

 

Les officiers se divisaient en gros en quatre catégories :

a) Les bravaches (ex: le colonel Fetterman (2)) qui considéraient les Indiens comme des animaux stupides juste bon à être abattus pour leur assurer une bonne carrière;

b) Les professionnels qui se contentaient d'appliquer les ordres sans plus y réfléchir;

c) Les fascinés qui envaient le mode de vie des "sauvages", mais appliquaient sans remords les ordres donnés (Ex. Custer (3));

d) Et enfin, ceux qui s'efforcent d'exécuter le plus humainement possible les ordres qu'on leur donne, car ils sont écœurés par ce qu'ils voient et ce que l'on leur fait faire. Ils sont minoritaires, mais nous en trouverons quelques uns dans ce récit.

Cette armée était complétement inadaptée au départ au style de guerre que lui imposait les Apaches.

 

Des décennies après la fin des combats, ceux qui y avaient participé riaient encore à larmes de facilité avec laquelle ils dupaient les officiers fraîchement émoulus de West Point qui entraînaient leurs hommes dans le piège qui leur était tendu.

Bien sûr, quelques officiers finissaient par comprendre et à devenir plus dur à duper, mais généralement, ils avaient alors fini leur "tour d'opération" dans le sud-ouesty et étaient envoyés sous d'autres cieux pour être remplacé par d'autres "pieds tendres".

 

Ce n'est qu'avec Crook que se mettra au point vers 1876 un système de colonnes volantes formées de patrouilles de cavalerie accompagnées de scouts Apaches (4) et d'un pack de mules transportant des munitions et des vivres permettant de longues patrouilles. Celles ci quadrillaient le territoire des Apaches de façon à intercepter toute bande « d'Hostiles » en maraude.

Souvent cette recherche s'avérait vaine. Les récits et journaux laissés par les officiers, et plus rarement les soldats, parlent plus souvent de la chaleur des déserts, des blizzards en montagnes ou des orages violents que de combats contre les Apaches. Car il faut reconnaître qu'elle s'opérait dans des circonstances difficiles avec des conditions plus que précaires parfois!

 

Notes :

(1) Regardez surtout les uniformes.

(2)Qui entraîna avec lui le 21 décembre 1866 ses quatre-vingt hommes dans une embuscade tendue par les Lakotas et les Cheyennes du Nord. Il se vantait avec 80 hommes de soumettre tous les Sioux. Il n'y aura aucun survivant.

(3)Qui n'était pas le « tueur d'indiens » que l'on a souvent décrit. Très soucieux de sa gloire personnelle et briguant une carrière politique dans les états nouvellement créés dans l'Ouest, il était en tant que cavalier fasciné par les Indiens des Plaines et leur mode de vie. Le blanc est rarement totalement sans tâche et le noir n'est jamais totalement sombre...

(4)Suivant un axiome souvent vérifié : « Seul un Apache peut capturer un Apache ».



Le Prophète

Dans l'article précédent, nous avons parlé du fait que pour les Apaches vivant à San Carlos, à Fort Apache ou dans toute autre réserve, les conditions de vie et leur démoralisation était telle que si quelqu'un leur promettait un retour à 'l'ancien temps », ils le suivraient en grand nombre.

De telles prophéties avaient déjà eu lieu. Elles prenaient leur sources au nord-ouest chez les Nez Percés qui vivaient dans l'Idaho et le Washington. Là, un dénommé Smohalla avait dit dès les années 1850 que le Grand Esprit lui avait donné un message disant que les Indiens devaient revenir à leur mode de vie, à leurs croyances traditionnelles et respecter la terre qui les faisait vivre. Il avait conçu cet enseignement pacifique lors de longues pérégrinations qui l'avaient mené jusqu'au Mexique et en écoutant l'enseignement des missionnaires catholiques venus parmi son peuple.

 

D'autres tribus adoptèrent dans les années suivantes cette doctrine pacifique qui impliquait la non-violence. Elle sera relayée chez les Païutes du Sud par Tavilo, puis ensuite par Wowoka dont le message sera à l'origine du mouvement de la « Danse des Esprits » qui aura un grand succès dans les Plaines.

 

Or, chez les Apaches White Mountains, dans le sous-clan des Cibecue, vivait un dénommé Noch-ay-del-Klinne. Il sera l'un des premiers White Mountains à s'engager dans les scouts Apaches recrutés à San Carlos par le général Crook pour ses campagnes. Des missionnaires qui avaient remarqué son intelligence l'envoyèrent à l'école indienne de Santa Fé. Il n'y resta que quelques mois mais reçut un enseignement religieux qui le marqua profondément. Surtout le récit de la résurrection du Christ.

De retour parmi les siens, il se retira pour méditer et devint pour son peuple un mystique. Le récit qu'il faisait de ses rencontres avec les Esprits et les pouvoirs qu'il affirmait détenir de ces derniers en fit un chamane.

 

En 1881, il aura l'audace d'affirmer qu'il allait ramener à la vie deux grands chefs défunts des White Mountains, les très aimés et estimés Diablo et Eskiole. Il organisa lui-même les rites et les danses pour l'événement. Mais le miracle n'eut pas lieu et les gens commencèrent à se détourner de lui. Pour rétablir son influence, Noch-ay-del-Klinne fit annoncer que l'efficacité de ses pouvoirs dépendaient de la disparition des « Yeux Pâles ».

San Carlos reçu cette condition avec peu d'enthousiasme. Les blancs eux, s'en inquiétèrent, car la prédication avait un succès grandissant et surtout soudait autour d'elle des groupes jadis rivaux. Même les scouts indiens commençaient à montrer des signes d'agitation et d'indiscipline.

 

Pourtant, Noch-ay-del-Klinne n'était pas à la fête! Certains de ses suivants lui reprochaient les échecs de ses prophéties précédentes tandis que d'autres étaient prêt à passer à l'action directe contre les Blancs pour permettre à celles ci de se réaliser. Effrayé par ces derniers, Noch-ay-del-Klinne s'empressa d'annoncer qu'une nouvelle vision venait lui recommander que les Apaches restent en paix. Par contre, il refusera tout rendez-vous avec le général Carr qui tentait d'apaiser les choses.

Ce dernier convint alors avec l'agent des Affaires Indiennes qu'il fallait au plus vite mettre Noch-ay-del-Klinne hors d'état de nuire.

 

L'intervention de l'armée se solda par une échauffourée dans laquelle le prophète trouva la mort. L'affaire dégénéra en révolte ouverte vite écrasée par les troupes du général Willcox. Bien des « renégats » parvinrent cependant à s'échapper. Mais quarante d'entre furent arrêtés et conduits à Tucson où ils furent détenus pendant six mois avant d'être remis en liberté sur la réserve de San Carlos.

En octobre 1881, la zone San Carlos – Fort Apache était patrouillé par 22 compagnies de cavalerie. Les Apaches étaient tendus et inquiets. Il suffisait dans cette atmosphère d'une mauvaise décision pour mettre le feu aux poudres.

 

Fin septembre, le général Willcox prit la décision plutôt inattendue d'arrêter deux White Mountains libérés depuis peu de prison, George et Bonito. Il envoya le major Biddle et un peloton à San Carlos pour procéder à l'arrestation, mais c'était précisément le jour de distribution des rations et les deux Apaches dirent qu'ils se rendraient après avoir reçus celles ci. Furieux, Biddle donna l'ordre à ses soldats de s'emparer des deux hommes. Cela déclencha une panique chez les gens qui attendaient leur tour. A la faveur de celle-ci George et Bonito s'emparèrent de chevaux et gagnèrent le camp voisins des Chiricahuas où ils se montrèrent si convaincants dans le récit des évènements que dans la nuit suivante 74 d'entre eux prirent la fuite menés par Juh, Naiche et Géronimo.



« Celui qui baille »

Geronimo

L'heure est maintenant venu de parler de Géronimo. On pourrait même dire du trop fameux Géronimo, car son nom a occulté celui de Victorio, Nana ou Naiche, voire même celui de Cochise pour s'imposer dans la mythologie Westernienne et populaire. Voici par exemple l'image qu'en donne le film « Geronimo » de Walter Hill

 


L'image montrée dans ce film est aussi éloignée de la réalité historique du personnage que celle des innombrables westerns de l'époque classique qui le montraient comme un fauve assoiffé de sang!

 

Aussi, avant de continuer, explorons un peu son passé, car jusqu'à présent nous en avons peu parlé

Notre homme est né le 16 juin 1829 près de Turkey Creek, un affluent de la Gila River. Il reçut à sa naissance le nom de Goyathlay qui veut dire « Celui qui baîlle », nom traduisant le dynamisme qui l'animait alors.

Il faisait parti des Chiricahuas Bedonkohe. Son grand-père Mako avait été leur chef et il avait trois frères et quatre sœurs. Après la mort de son père, sa mère l'emmena vivre dans sa famille maternelle chez les Chihennes (Ceux peints en rouge) et il grandit parmi eux.

 

A dix-sept ans, il épousa une Chiricahua-Nedni nommée Alope dont il était follement amoureux. Le 6 juin 1858 le campement abritant celle-ci fut attaqué par les 400 soldats mexicains du Colonel José Maria Carrasco alors que les hommes commerçaient dans la ville voisine de Janos (Mexique, Sonora). Parmi les morts figuraient Alope, ses enfants et sa belle-mère, tous scalpés. Géronimo en devint fou de douleur et voua depuis une haine intense aux Mexicains. Pour cette raison et aussi pour ses talents d'orateur, Mangas Coloradas l'envoya rencontrer Cochise pour persuader ce dernier à les aider à se venger des Mexicains. Lors de l'expédition punitive, Goyathlay se battra avec vigueur, attaquant les soldats mexicains avec un seul couteau malgré les balles. Comme aucune de celles ci ne le touchaient et qu'il semblait possédé, les soldats mexicains implorèrent contre lui l'aide de « Santo Jeronimo ». Le nom frappa les Apaches et devint celui de Goyathlay désormais.

 

Il prendra part ensuite à la lutte contre les « Yeux Pâles » avec Mangas Coloradas, puis Cochise. S'il n'a jamais été un chef au sein des Chiricahuas, il était cependant un chef militaire conduisant des expéditions. En tant que guerrier, il avait plusieurs pouvoirs reçus des Esprits : marcher sans laisser de traces, mouvoir des objets à distance par la seule force de sa pensée, lire les pensées de ceux se tenant devant lui et résister aux balles. Ces pouvoirs faisaient que beaucoup de guerriers le suivaient en raid. Il peignait lui-même le visage de ceux qui l'accompagnait pour faire bénéficier ces derniers de ses pouvoirs. Il était plus considéré d'ailleurs comme un chamane que comme un chef de guerre..

Une fois la paix signée avec les Yeux Pâles par Cochise, il respecta celle-ci mais multiplia les raids de pillages au Mexique. En 1877, il sera capturé par ruse par John Clum. Ce sera l'unique fois où il sera capturé d'ailleurs.

 

Tandis que Victorio combattaient les « Yeux Pâles », Géronimo préférait razzier les villages mexicains avant de se rendre et de vivre paisiblement pendant près de deux ans sur la réserve de San Carlos.

Il s'était remarié après la mort d'Alope, une fois sa vengeance assouvie, avec Chee-hash-kish qui lui donnera deux enfants : Chappo et Dohn-say. Il prendra ensuite une seconde épouse Nana-tha-thtith avec laquelle il aura un autre enfant. Sa vie maritale deviendra d'ailleurs de plus en plus complexe car il épousera par la suite Zi-yeh en même temps que She-gha. Puis une nommée Shtsha-she et enfin Ih-tedda. Celles ci allaient et venaient et étaient même parfois donnée par Géronimo, comme Ih-tedda après sa dernière reddition. Il garda alors She-gha, mais aura comme dernière femme Azul!



Loco

Pour en revenir à notre histoire, nous avions laissé Juh, Naiche, Géronimo, en tout soixante-quatorze Chiricahuas fuyant San Carlos. Cette fuite était provoqué par la peur engendrée par l'afflux de soldats, la lassitude d'une vie faite de disette perpétuelle en raison des fraudes des agents, les restrictions de déplacement, y compris à l'intérieur même de la réserve et l'ennui. Le but? Le Mexique et la Sierra Madre.

Bien évidemment, les soldats prirent leur piste, guidé par les cadavres des Blancs tués en cours de route par les fuyards. Le général Willcox surprit leur arrière-garde, mais celle-ci commandée par Géronimo en personne lui résista assez longtemps pour permettre aux femmes et aux enfants de se mettre hors de portée. Elle se replia ensuite sans problème vers le Mexique.

 

Une fois à l'abri, les exilés se mirent à penser à Loco et aux siens qui restaient à San Carlos à la merci de l'agent des Affaires Indiennes corrompu Tiffany. Juh et Géronimo décidèrent avec Nana qui était revenu de sa folle chevauchée (5), de le rallier à eux pour récupérer ses trente guerriers. Ils décidèrent de lui envoyer des messagers.

 

Loco n'était certes pas un pleutre! Il devait son nom à sa fougue et à son audace au combat et avait eu un œil arraché par un grizzly. Mais il n'était pas chaud pour rejoindre les évadés au Mexique. Il estimait qu'il valait mieux la paix dans la misère que la misère dans la guerre et vivait dans l'espoir que l'agent Tiffany serait remplacé par quelqu'un de plus honnête. Il savait qu'au Mexique les attendaient les soldats mexicains et surtout les Rurales, véritables chasseurs d'Apaches. Aussi, il repoussa fermement les propositions des messagers.

 

Loco

 

Ceux ci décidèrent alors de lui forcer la main. En janvier 1882, on lui dépêcha des messagers qui parvinrent dans sa rancheria (6) à une trentaine de kilomètres de San Carlos. Ils l'avertirent que dans quarante jours, les Chiricahuas de la Sierra Madre viendraient le chercher lui et ses siens. Et qu'il devait se tenir prêt.

Toutes ces allées et venues avaient cependant fini par parvenir aux oreilles de Tifffany et d'Al Sieber, le chef des scouts Apaches. Ces derniers avertirent le général Willcox qui mit en alerte tous les postes et envoya des patrouilles sur la frontière. Une barrière mouvante de Tuniques Bleues se mit à veiller. Le général Sherman lui même vint constater la solidité du dispositif et montra sa satisfaction.

Une fois qu'il ait tourné le dos, Chato, Naiche, Chihuahua et Géronimo traversèrent la frontière avec 60 guerriers. Objectif : San Carlos!

Bien évidemment, ils passèrent totalement inaperçus, mais deux d'entre eux allaient commettre une grave imprudence : ils volèrent des chevaux dans un ranch et décidèrent de les ramener au Mexique avant d'aller à San Carlos. De l'autre côté de la frontière, ils furent capturés par des soldats mexicains. Interrogés de la manière qu'on imagine, ils les informèrent que dans une douzaine de jours le gros de la troupe des Chiricahuas repasseraient par là.

Sur le chemin de San Carlos, la troupe de Géronimo passa par le ranch de Georges Stevens, un ami de John Clum qui était shérif du Comté de Graham. Les Apaches enfermèrent ce dernier et sa famille sans leur faire de mal. Ils y rencontrèrent aussi plusieurs Apaches employés par lui et un berger d'origine mexicaine qui avait longtemps vécu chez les Apaches et était devenu membre à part entière des White Mountains, Bylas. Il y avait aussi neuf bergers mexicains, deux femmes et des enfants, mexicains aussi. Géronimo fit tuer des agneaux pour les manger, puis après une discussion avec Bylas, qui était à moité ivre, il décida de mettre à mort tous les Mexicains, hommes, femmes et enfants. Tous périrent tués à coups de massues, de poignards, de fusils ou de revolvers (7). Seul un jeune garçon fut épargné en s'abritant derrière les robes de Mme Stevens.

 

 

Ils repartirent en emmenant avec eux les White Mountains et Bylas. A l'aube du 19 avril 1882, la bande s'embusqua sur la rive de la Gila River, juste en face du camp de Loco.. Géronimo envoya ensuite des hommes couper les fils du télégraphe, puis détacha trois hommes à chacun des camps Apaches de la réserve pour y supprimer les membres de la Police Indienne.

Aux premières lueurs de l'aube, ils passèrent à l'action, contraignant Loco et ses Mimbrenos à les suivre après que ces derniers aient été menacés par Naiche et Chato. Sept cent Apaches dont au moins une centaine de guerriers jouèrent les filles de l'air. Ils tueront avant de partir le chef de la Police Indienne, Albert Sterling, puis son lieutenant qui tentait de les suivre.

La Police Indienne découvrit ensuite leurs corps, mais rentra en hâte à San Carlos. Une fois le télégraphe réparé, deux compagnies de cavaleries repérèrent les fuyards. Peu pressés de les affronter, ils tournèrent brides!

 

Enfin, un sergent des Scouts Apaches mit ses hommes en position de défense pour stopper les fuyards, volontaires ou non. Les « Hostiles » lui dirent poliment qu'ils ne voulaient pas se battre contre lui, le Mexique étant encore loin...

Il faudra attendre le 27 avril pour que le détachement du Capitaine Tupper qui avait franchi la frontière mexicaine les accroche. Loco y perdra quinze hommes dont son fils. Lui-même sera blessé..

Une autre colonne commandé par le Colonel Forsythe franchira à son tour la frontière, pour tomber sur les 250 hommes du colonel Garcia qui lui apprendra que la veille il avait tendu une embuscade aux fuyards, tuant 78 Apaches en ne perdant que vingt trois hommes. Il lui intimera aussi l'ordre de repasser la frontière dans l'autre sens.

Mais malgré tout, le gros des Chiricahuas parvint à disparaître dans la Sierra et trouva refuge chez les Nednis de Juh.

 

Notes :

(5)Voir la seconde partie.

(6) Rancheria = Camp.

(7)Bylas témoignera avoir vu un Apache qu'il identifiera formellement avec Géronimo lancer un bébé mexicain dans un feu et en empaler un autre sur les épines d'un cactus saguaro.



Les « Tucson Rangers »

Le manque de succès et la piètre conduite des troupes américaines suscita la rage des plumitifs. Un journaliste de San Francisco écrivit : « Les militaires ne sont pas en haute considération en Arizona. L'on estime généralement dans le territoire que les officiers ne font pas leur devoir et pensent davantage à leur confort et à leur scalp plutôt qu'à dresser un plan pour la rapide extermination des rebelles ».

Les plus excédés décidèrent alors de former une milice commandée par le Capitaine William Ross et équipée par les commerçants de Tucson. Les « Tucson Rangers », comme ils s'appelèrent, pénétrèrent illégalement au Mexique et se mirent à massacrer tous les indiens rencontrés par hasard. 37 malheureux, des femmes et des enfants, tombèrent sous leurs balles.

Ils furent stoppés par les soldats mexicains du capitaine Ramirez qui les renvoyèrent sans leurs armes aux États Unis.



Massacres dans les montagnes

Pendant ce temps, les « Renégats » soufflèrent un peu dans les montagnes mexicaines, avant de reprendre les « affaires ». Il leur fallait survire et pour cela, ils reprirent leurs raids de pillages contre certains villages mexicains, tout en renouant des relations commerciales avec d'autres, comme par le passé.

Les choses tournèrent fort mal pour Juh, Chihuahua et Géronimo. Alors qu'ils commerçaient à Casa Grande et qu'ils buvaient en abondance du « pulque », le camp abritant leurs femmes et leurs enfants fut attaqué par deux compagnies de cavalerie mexicaine venues de la ville voisine de Galeana et commandés par un redoutable tueur d'indiens, le major Ortiz. Il y aura 20 morts et trente prisonniers.

Suite à ce massacre, Juh regagna sa cachette dans les montagnes, tandis que Géronimo et ses hommes gagnèrent la Sonora voisine où ils pillèrent à qui mieux mieux. Puis ils passèrent en Arizona pour échanger auprès de trafiquants peu scrupuleux leur butin contre des munitions. Enfin, ils rejoignirent Juh et ses Nednis pour venger leurs morts.

 

Juh, Nana et Géronimo tendirent une embuscade dans laquelle ils tuèrent Ortiz et une trentaine de ses soldats. Mais ils perdirent là douze hommes et durent regagner les montagnes. Juh y resta tandis que Géronimo repartait au Sonora. Les deux hommes se retrouvèrent quelques semaines plus tard pour pleurer la mort d'Ishton, femme de Juh et cousine de Géronimo, ainsi que celle de sa fille de quatre ans tuées par les Mexicains lors d'un engagement.



Le nouveau Crook

C'est alors qu'arriva un revenant : le général Crook venait remplacer le général Willcox, à la grande satisfaction des Arizoniens. Il prit son poste le 3 septembre 1882 et avait les mains libres pour mener sa campagne contre les « Hostiles ».

Les Arizoniens et notamment la «Mafia de Tucson » espéraient beaucoup en lui. Mais ils ignoraient que l'homme avait changé...

 

Après son départ du sud-ouest, Crook avait dû mener une campagne difficile en 1876 contre les Sioux et Cheyennes bien décidés à défendre leur liberté et leur mode de vie. Toujours impitoyable quand il s'agira d'empêcher les Nez Percés du chef Joseph de gagner le Canada en 1877, il devra l'année suivante mettre fin à la révolte des Bannocks de l'Idaho, révolte provoquée par la famine qui les décimait.

Mais l'affaire qui le fera basculer et changer ne sera pas une guerre de plus, mais celle des Poncas d'Ours Debout.

 

Pour faire bref, les Poncas étaient de paisibles agriculteurs du nord-ouest du Nebraska. En 1876, le Congrès décida de les « relocaliser » en Oklahoma, leurs terres fertiles et très bien cultivées étant convoitées par les colons. Les Poncas tentèrent de s'y opposer de façon non violente car ils savaient que les terres qu'on leur destinait étaient stériles et infestées par la malaria. Ils y furent déplacés de force après avoir vu leurs maisons réduites en cendres.

Mais quand le fils du chef Ours Debout (1834-1908) décéda en exil, il fit jurer à son père de l'enterrer dans l'ancienne terre des Poncas. Ce dernier emmena le corps de son fils pour réaliser son vœu, mais fut arrêté en cours de route sans qu'il résiste par la violence et fut incarcéré sous l' inculpation de rébellion et pour avoir quitté la réserve sans autorisation.

 

C'est Crook qui était chargé de cette arrestation, mais le spectacle d'Ours Debout et de ses suivants vêtus de haillons, désespérés et affamés fut de trop pour lui. Ce fut littéralement la goutte d'eau qui fit déborder le vase de sa conscience. Il ne renvoya pas les Poncas en Oklahoma, Crook se fit un plaisir de raconter toute l'histoire à un journaliste qui la diffusa nationalement. Bientôt, deux avocats se proposèrent bénévolement pour défendre Ours Debout. Après de longues péripéties, ils gagnèrent une bataille bien plus importante que Little Big Horn : ils obtinrent qu'Ours Debout soit considéré comme une « personne » au sens de la loi. Et qu'il bénéficiait donc du « Habeas Corpus », c'est à dire celui de ne pas être emprisonné sans jugement. Ours Debout y gagnera le droit d'aller enterrer son fils sur sa terre natale, et d'y vivre avec les siens. Enfin, ceux qui avaient été arrêté avec lui! Le jugement déchaînera la fureur du Bureau des Affaires Indiennes, de certains militaires et de bien d'autres encore! De "chasseur d'indiens", Crook deviendra dès lors un avocat passionné de la cause indienne. Toutefois, il faudra bien du temps pour que l'habeas corpus soit étendu à tous les amérindiens des États Unis, car il lésait les intérêts de bien des gens qui avaient intérêt pour des raisons diverses à les voir dans un état de sujétion totale.

 

Crook avait compris que la source des malheurs des indiens venaient des politiques et que leur seule chance de salut, c'était de fuir comme les Chiricahuas, animés d'une rage contre l'homme blanc dont il comprenait maintenant les motifs.

D'entrée de jeu, il savait qu'il lui fallait dénoncer les magouilles de la « Mafia de Tucson » et ses trafics, mais il n'ignorait pas aussi que ses adversaires étaient puissants et qu'il lui faudrait y aller pas à pas!

 

Dans un premier temps, il se rendit à Fort Apache pour écouter les doléances des Indiens. Il découvrit que tout le monde les escroquait et les grugeait, que la corruption gangrénait tous les échelons du bureau des Affaires Indiennes et du Territoire de l'Arizona. En octobre 1882, le Grand Jury fédéral d'Arizona émit un véritable réquisitoire contre ces vautours. L'agent Tiffany fut accusé d'avoir vendu à des commerçants de villes voisines les approvisionnements et les vêtements destinés aux occupants de la réserve, d'avoir fait détruire les champs des Apaches qui voulaient avoir leur indépendance pour les forcer à dépendre des maigres rations qu'il distribuait, d'avoir condamné arbitrairement des indiens à des peines de prison et enfin d'avoir mis sous séquestre certaines des parties les plus riches de la réserve pour les transférer dans le domaine public où elles auraient pu être rachetées par des membres de la « Mafia de Tucson ».

Crook assura aux Apaches que leurs personnes et leurs biens seraient désormais respectés, que les approvisionnements prévus par les traités parviendraient régulièrement, que l'ordre serait restauré ainsi que les tribunaux et la Police Indienne et qu'il leur rendrait une certaine liberté de mouvement dans les limites de la réserve.

Un nouvel agent des Affaires Indiennes, Wilcox fut nommé et se montra coopératif avec Crook, mais ce dernierl se heurtera frontalement au Bureau des Affaires Indiennes qui trouvait la situation préexistante satisfaisante. Et il ne parvindra pas non plus à mettre fin à tous les contrats signés par Tiffany avec la « Mafia de Tucson »!



Préparatifs de campagne

Même animé des meilleures intentions, Crook n'en préparait pas moins une campagne pour aller dénicher les Chiricahuas insoumis de leurs refuges Mexicains. Il mit San Carlos sous l'autorité du capitaine Crawford du 3e de Cavalerie et Fort Apache sous celle du lieutenant Gatewood. Parmi ses scouts Apache, il avait le fameux Mickey Free qui avait été la cause involontaire de la révolte de Cochise. Ces scouts étaient commandés par le lieutenant Davis et Al Sieber, des vieux camarades de campagne de Crook. Il savait que bien que les « Hostiles » n'étaient guère plus d'une centaine de guerriers, il n'aurait pas la partie facile...

Dans son ordre du jour, Crook exigea de ses officiers qu'ils respectent la plus stricte justice avec les Indiens et qu'ils ne fassent à ces derniers aucune promesse qu'il ne puissent tenir. Un langage nouveau pour Crook qui dans la campagne précédente leur réclamait « la destruction de l'adversaire » et « la tête de leurs ennemis »:

En attendant que les « Hostiles » se manifestent, car il n'avait pas le droit de franchir la frontière mexicaine, à moins d'être en train de poursuivre un groupe d'Apaches, Crook alla rôder dans la zone frontière. En décembre, il n'avait encore pas vu l'empreinte du pas d'un « Hostile »...



Le raid de Chato

Fin mars 1883, Chihuahua, Bonito, Ulzana et Chato descendirent des sierras avec vingt-deux guerriers dont Naiche et Tsoe. Ils passèrent la frontière dans le but de tuer des Blancs pour s'emparer de leurs munitions. Ils frappèrent d'abord près de Tombstone où ils tuèrent sept hommes. Quittant l'Arizona, ils passèrent au Nouveau-Mexique et y tombèrent par hasard près de Lordsburg sur une carriole conduite par le juge fédéral McCormas. Ils tuèrent ce dernier et sa femme, capturant leur fils âgé de six ans (8), puis ils rentrèrent aux Mexique. Ils laissaient derrière eux vingt-six morts et avaient couverts plus de 600 kilomètres aux Etats Unis. L'un des leurs, Tsoe, désertera pour devenir le guide favori de Crook.

 

Note :

(8)Adopté par les Chiricahuas, le jeune McCormas sera tué par une balle perdue lors de l'attaque du camp qui l'hébergeait par des soldats mexicains, bien que ses parents adoptifs aient essayé en vain de le protéger (tradition orale Chiricahua).



Passer au Mexique?

Crook voulait aller attaquer les « renégats » dans leurs refuges mexicains, mais il ignorait ce qu'il devait faire! Quelle serait en effet l'attitude de Washington s'il pénétrait en territoire mexicain sans l'accord de Mexico? Il interrogea le chef d'état de l'armée, le général Sherman, qui lui dit d'y aller franco.

Par acquis de conscience, Crook voulut s'assurer de la bonne volonté des Mexicains. Il visita les quartiers généraux mexicains du Sonora et du Chihuahua, qui lui promirent le meilleur accueil.

Fort de ces assurances, il rentra aux États Unis pour apprendre que Washington lui demandait d'attendre tandis que les diplomates négociaient un nouveau traité avec les Mexicains!

 

Il prit alors la décision d'entrer de son propre chef au Mexique, quel que soit pour lui les conséquences de cet acte! Le 23 avril 1883, il gagna San Bernardino, situé près de la frontière mexicaine. Là ses troupes se concentraient avant de pénétrer au Mexique : 193 scouts Apaches (White Mountains, Mohaves et Tontos, ainsi que des Yumas). Ces éclaireurs étaient placés sous les ordres du Capitaine Crawford, des lieutenants Gatewood et Mackay et des civils Al Sieber, Archie McIntosh et Sam Bowman. Venaient ensuite 42 soldats du 6e de cavalerie. L'état-major était composé d'officiers expérimentés et 266 mules transportaient le ravitaillement et les munitions nécessaire à la campagne, avec leur 76 conducteurs. Bien entendu, Tsoe et un autre favori de Crook, Alchise, étaient de la partie avec Mickey Free..



Mais où sont donc les « Hostiles »?

Le 1er mai 1883, Crook et ses hommes franchissent la frontière. Il n'y aura aucun affrontement, aucun combat, pas même une escarmouche durant cette campagne où les troupes affronteront surtout les difficultés d'un pays montagneux et désertique. Ils ne trouveront en effet aucune trace des Chiricahuas avant de rencontrer le 14 mai le site d'un campement déserté depuis au moins 48 heures...

Le 16, ils découvrent enfin un village Chiricahua. Les guerriers sont partis en raid, trois d'entre eux restant pour garder les chevaux. Les Scouts Apaches tuèrent les trois hommes et une vieille femme, puis capturèrent un garçonnet, une fillette et deux jeunes filles. Celles-ci apprirent à Crook qu'il s'agissait du village de Chihuahua. Crook les libéra le lendemain en leur donnant le plus beau des chevaux de la colonne. Elles devaient rejoindre Chihuahua pour lui proposer de regagner San Carlos et lui dire que Crook ne cherchait pas le combat.


le 18, Chihuahua vint s'entretenir avec le général. Les femmes Chiricahuas demandèrent aux guerriers de ne pas se battre contre les Blancs, surtout à Kayaténé et Géronimo. Deux jours plus tard, Géronimo demanda à Crook des garanties d'une paix juste au cas où il accepterait de se rendre à San Carlos.

Après dix jours de palabres et la reddition de nombreux Chiricahuas, Géronimo accepta de se soumettre, mais demanda à Crook de le laisser partir avec d'autres chefs pour aller au sud récupérer les chevaux et les mules qu'ils avaient volés aux Mexicains. Crook y consentit contre l'assurance que les « permissionnaires » le rejoindraient à San Bernardino.

Le 30 mai, Crook repartit vers San Bernardino avec les bandes de Loco, Nana, Bonito et Kayaténé.

Soit 325 hommes, femmes et enfants, dont 52 guerriers qui partirent par étapes vers San Carlos. Les autres sont avec Chato, Juh et Géronimo. Le 23 juin, tout le monde arrive à San Carlos.



Déçus, calomniateurs et manipulateurs

La conduite de la campagne par Crook et le fait qu'il ait laissé repartirles chefs de guerre les plus redoutables fut vivement critiqué. Un sénateur Texan fera même courir le bruit que Crook avait été capturé par Géronimo. Aussi, la presse aux ordres du « Tucson Ring » en fera ses choux gras en évoquant le mirage d'un Géronimo dictant sa loi sur la frontière mexicaine. Ils s'emploieront à creuser un fossé entre Crook et l'opinion publique.

C'est alors qu'ils bâtiront l'image de « Géronimo, le tueur Apache le plus sanguinaire ayant jamais existé sous le soleil ». Il était en effet devenu indispensable tant à Tucson qu'à Washington à ceux qui avaient un intérêt économique à la présence d'un grand nombre de soldats dans le sud-ouest. Et ils s'employèrent aussi à le manipuler à cette fin...



Fin de vacances pour Géronimo

En tout cas, les détracteurs de Crook allaient connaître une déception : Géronimo allait tenir sa parole...

Mais il avait pris son temps!. Le 7 février 1884 se rendra d'abord Chato avec 19 guerriers, puis enfin Géronimo en mars avec 8 hommes, des femmes et des enfants; Avec lui se trouvait aussi un troupeau de 350 têtes de bétail volé au Mexique et un convoi de mules chargés du fruit de ses rapines!

 

Durant ses huit mois d'absence, il avait razzié consciencieusement les villages mexicains avec Naîche pour, comme il le disait lui-même, « rassembler les cadeaux que lui même et ses hommes destinaient à leurs parents et alliés ». Il s'excusa du temps qu'il avait passé à les réunir et de son retard, car il avait parfois été forcé de combattre des soldats mexicains qui voulaient s'y opposer.

Crook fut soulagé de le voir, car cela désarmait ses détracteurs. Mais il prit une décision qui allait s'avérer malheureuse. Il donna à ses soldats l'ordre de saisir les mules et chevaux volés par Geronimo pour dédommager leurs propriétaires par le biais du gouvernement mexicain. Géronimo, qui se proposait de se lancer dans l'élevage avec en gardera toujours rancune à Crook, et surtout éprouvera désormais de la méfiance envers les promesses que ce dernier lui avait faites en mai 1883.



Retour sur la réserve

Geronimo et les siens s'installèrent à Turkey Creek au sud de Fort Apache. Cette réserve abritait alors 2000 indiens et San Carlos 3000. La paix régnait sous le contrôle ferme, mais empreint d'une certaine diplomatie, des militaires. Ils faisaient effectuer des travaux d'utilité publique pour développer l'agriculture en développant l'irrigation, favorisaient l'élevage en répartissant entre les différentes rancherias du bétail. Géronimo lui même se transformera en un paisible agriculteur. En plus, une cinquantaine d'enfants avaient été envoyé à l'Ecole Indienne de Carlisle en Pennsylvanie.

 

Crook était fier et heureux de cette paix et s'en attribuait tout le mérite, ce qui irrita bien du monde au Ministère des Affaires Intérieures ou au Bureau des Affaires Indiennes. Beaucoup s'indignaient aussi de voir que bientôt les Apaches seraient capables de subvenir à leurs besoins alimentaires, au détriment des fournisseurs de contrat.

La presse aux ordres de la « Mafia de Tucson » tira la première en qualifiant sa politique envers les Apaches « d'irréaliste ». L'agent Wilcox accusera Crook de semer la zizanie en traitant sur le même pied les « renégats » et les Apaches fidèles.

 

Comme cela s'avérait stérile, on tenta de tirer profit du fait que Kayaténé avait tenté de tuer le lieutenant Davis. Il fut jugé et condamné à trois ans de prison au pénitencier d'Alcatraz et Crook intervint en sa faveur pour que le jeune Mimbrenos ait une remise de peine. Les ennemis du général firent alors remarquer que les condamnations à mort émises par le Tribunal Apache s'exécutaient par lapidation ou bastonnade.

Inquiet de cette situation, les autorités de Washington proposèrent un modus vivendi : les militaires veilleraient au maintien de la paix et de l'ordre, tandis que les questions relatives à la subsistance des Apaches relèveraient des civils. Las, aucun des deux camps ne voulait céder! L'agent Wilcox prit trois mois de congé et le sabotage du ravitaillement des indiens s'amplifia.

Crook prit des mesures d'urgence et Wilcox démissionna. Son remplaçant l'agent Ford n'était pas mieux disposé que ce dernier envers Crook...



Deux témoignages

A cette date, le lieutenant Britton Davis, qui commandait les scouts Apaches avec Gatewood, écrivait à un ami : « Partout de petits enfants Apaches nus, sales, affamés, effrayés qui, à votre vue filent se cacher dans un buisson ou un « wickiup ». Partout, les visages revêches, sombres, désespérés et méfiants des adultes. Vous ressentez le défi jusqu'à la moelle des os, ce défi muet qui vous confirme que vous n'êtes rien d'autre qu'un menteur ou un voleur de plus, si peu différent de la procession de menteurs et de voleurs qui vous a précédé. L'on dit tant et plus de la traîtrise de l'indien. En matière de traîtrise, de serments rompus par les personnalités les plus hautes, de mensonge, de vol, de massacre de femmes et d'enfants sans défense, de tout crime inscrit au catalogue de l'inhumanité de l'homme pour l'homme, l'indien n'était qu'un simple amateur comparé au « noble homme blanc ». Ses crimes procédaient du détail et les nôtres du gros. Nous apprîmes ses méthodes en ce domaine mais notre intelligence supérieure les perfectionna.

Vivant parmi ce peuple sans autre compagnie que les Indiens eux-mêmes, mes sentiments à leur égard commencent à changer. Cette impression mal définie qu'ils étaient quelque chose d'un peu supérieur aux animaux sans être tout à fait humains; quelque chose à surveiller éternellement avec suspicion et à tuer sans plus de remords qu'un coyote; ce sentiment d'impossibilité d'une rencontre d'homme à homme : tout cela s'évanouit ».

 

Crook écrivait à la même époque : « L'Indien est un être humain. La question à régler aujourd'hui pour l'honneur des États Unis est la suivante : comment le défendre? Voici ma réponse : premièrement, l'écarter des affaires politiques; deuxièmement, que les lois pour l'Indien soient identiques à celles du Blanc; troisièmement, lui donner le droit de vote. Mais nous ne devons pas aller trop vite dans ces changements. Nous ne devons pas contraindre l'Indien à adopter immédiatement la civilisation en ses formes complètes mais il lui faut des lois justes qui lui garantissent des droits civiques égaux. Si cela se fait, la question indienne – qui est une source de déshonneur pour notre pays et de honte pour les vrais patriotes – appartiendra bientôt au passé ».

 

A une époque où l'on enseignait aux enfants que l'homme blanc (surtout anglo-saxon) était le sommet de la création divine et le seul vrai fondateur de LA civilisation, ces points de vue étaient révolutionnaires! Ces aspirations étaient d'ailleurs pour l'heure utopique, car la guerre venait à peine de s'achever. Et le cœur des Apaches était rempli de méfiance envers les Blancs, quelque soit l'opinion de ces derniers sur eux....



Tiswin et manipulation

L'interdit le plus pénible pour les Apaches était l'interdiction de fabriquer du « Tiswin », alcool fabriqué à partir des fruits du saguaro. Elle leur donnait selon les cas la joie ou la tristesse et dans tous les cas l'oubli. Mais ce n'était pas l'unique tracasserie! On intervenait jusque dans leurs vie conjugale en leur interdisant de battre leurs femmes. Les jeux de hasard, dont ils étaient si friands étaient prohibés. Les « cérémonies païennes et diaboliques » par lesquelles ils vénéraient Usen étaient désormais interdites (9). Le fait que l'an passé le capitaine Crawford autorisa des centaines d'Apaches à s'éloigner de le réserve pour la chasse comptait pour du beurre!

 

Des rumeurs couraient aussi la réserve. On racontait que les chefs les plus rétifs, notamment Géronimo, allaient être arrêtés et mis en prison. Un jour, un Apache dit à ce dernier que les autorités de la réserve allaient le livrer à la justice civile de l'Arizona pour un procès qui le mènerait droit à la potence. Chato, Mickey Free et la femme de Mangas (fils de Mangas Coloradas) lui rapportèrent le même bruit. Si à l'époque personne ne connaissait son origine, il est aujourd'hui clair qu'il venait de Tucson et émanait de gens qui avaient intérêts à ce que la guerre reprenne : la « Mafia de Tucson »!

L'orage couva pendant des semaines avant d'éclater. Le 14 mai 1885, le lieutenant Davis vit se présenter inopinément devant lui Loco, Chihuahua, Naiche, Mangas et Zele qui lui demandèrent la levée des interdits sur la fabrication du Tiswin, l'arrêt des interférences dans la vie quotidienne des familles Apaches et des restrictions de toutes sortes pesant sur eux et qui leur empoisonnaient la vie.

Davis envoya un télégramme à Crook pour l'avertir de ce qui se passait, mais malheureusement ce dernier ne le reçu jamais. Intercepté par un Al Sieber relevant d'une cuite, il ne fut pas jugé assez important pour déranger Crook!

 

Géronimo et ses compagnons complotèrent l'assassinat de Davis, mais la tentative avorta avant même d'être exécuté. Cela n'empêcha pas Géronimo et Mangas de parcourir la réserve en disant que ce meurtre avait eu lieu, tout en racontant que les scouts avaient désertés en masse!

Pensant qu'il y allait avoir des représailles de la part des « Yeux Blancs », les Chiricahuas pensèrent n'avoir d'autre salut que la fuite vers le Mexique! Les bandes de Géronimo, Mangas, Naiche, Nana et Chihuahua, soit en tout 42 guerriers et 92 femmes et enfants prirent la fuite. Loco, Chato, Bonito et leurs suivants refusèrent de les rejoindre et restèrent sur la réserve. On était le 17 mai 1885.

 

Note :

(9)Cet interdiction des cultes traditionnels fut émise en 1884 et touchait toute les réserves.



Poursuite et zizanies

En 24 heures, les fugitifs couvrirent près de 150 kilomètres sans marquer d'arrêt! Derrière eux, des pelotons de cavalerie guidés par des scouts Apaches experts, mais impuissants à relever la piste des fuyards!.

Cependant, Chihuahua avait découvert que Mangas et Géronimo lui avaient menti. Il sait que Davis, prétendument mort, les cherche. Furieux, il quitte ces derniers, mais n'a d'autre solution que de les rejoindre au Mexique. Sur leur route, les fuyards tuent sans pitié tout blanc rencontré.

Chihuahua

Crook fit bloquer rapidement la frontière pour éviter tout raid des fuyards sur le sol américain. Puis, il envoya de son propre chef la troupe G du Capitaine Emmett Crawford du 3e de Cavalerie précédé des 92 scouts Apaches d'Al Sieber et Britton Davies le 11 juin au sud de la frontière.

Deux jours plus tard, c'était le tour du Capitaine Wirt Davis avec un détachement accompagné d'une centaine de scouts Apaches de partir

.

Parcourant les sierras sous des pluies torrentielles, ils attaquèrent le camp de Géronimo en son absence. Sa sixième épouse et deux de ses enfants furent capturés. Les cavaliers parcoururent en tout 800 kilomètres sous la pluie et dans la boue avant de regagner avec leurs prisonniers les États Unis, en haillons, sales et épuisés.



Les "trompe-la-mort"

 

 

Ulzana

 

Frère cadet de Chihuahua, Johlsannie, aussi nommé Ulzana, fit irruption avec huit hommes en novembre 1885 là où il y avait le plus de soldats américains, ravageant le sud-ouest du Nouveau Mexique. Il fit temporairement alliance avec une quinzaine de Chiricahuas, mais ces derniers regagnèrent vite le Mexique.

Le 23 novembre, il apparut soudainement sur le réserve de Fort Apache où l'on accueilli fraîchement ses appels à l'évasion. Par dépit, il fit tuer par ses guerriers cinq hommes, onze femmes et 4 enfants Apaches. Ils capturèrent deux jeunes filles et du bétail avant de disparaître vers le sud.

Sa présence sera signalée le 27 décembre dans les Monts Chiricahuas, mais un blizzard épouvantable obligera les troupes lancées à sa poursuite à cesser toute recherche.

 

Johlsannie repassa sans problème la frontière pour regagner le Mexique. En deux mois, lui et ses hommes avaient parcouru environ 2000 kilomètres, tué 38 blancs et indiens, volé 250 mules et déjoué la vigilance de 83 troupes de cavalerie! Et le tout sans perte!


Retour dans la Sierra Madre

 

Tandis que Johlsannie cavalcadait librement au milieu des Tuniques Blues avec ses hommes, Davis et Crawford étaient repartis dans les sierras mexicaines et le Sonora à la recherche des « Hostiles »..

Le 9 janvier, les scouts de Crawford vinrent le prévenir qu'ils avaient découvert le principal camps des Chiricahuas à un jour de marche vers le sud. Il s'y rendit à marche forcée et l'encercla avec ses quatre compagnies. Une sentinelle Apache donna l'alarme. Les guerriers s'enfuirent, mais laissèrent sur place leurs femmes et leurs enfants, ainsi que leurs vivres et chevaux. Une femme avec un drapeau blanc vint dire que Géronimo voulait parlementer. On prit rendez-vous, mais il ne vint pas. Les hommes de Crawford s'installèrent pour bivouaquer.

 

Au petit matin, la brume cacha aux Américains l'approche de soldats mexicains qui savaient que les Chiricahuas étaient proches. Ils étaient précédés par des scouts Tarahumaras qui furent confondus par les sentinelles avec les hommes du capitaine Wirt Davis. Les arrivants ouvrirent le feu, tuant ou blessant quatre scouts Apaches. Les camarades de ceux ci ripostèrent, mettant hors de combat un nombre équivalent de mexicains.

Constatant ce qu'ils pensaient être une méprise des Mexicains, Crawford, le lieutenant Maus et le chef des scouts Tom Horn s'approchèrent des assaillants et déclinèrent leur identité en espagnol. Ils montrèrent leurs uniformes et explicitèrent la raison de leur présence en ces lieux. Crawford ordonna à Maus de retourner vers ses hommes pour leur dire de cesser le combat. Maus obéit, mais entendit des détonations. En se retournant, il s'aperçut que Crawford gisait sur le sol, gravement blessé à la tête. Il décédera une semaine plus tard.

Les assaillants exigèrent de Maus des mules qu'il dut céder avant qu'ils ne s'éloignent.

 

Maus déplaça son camp et espérait avoir des nouvelles des chefs Chiricahuas. Ceux ci envoyèrent deux messagers le 13 janvier 1886.

Ils vinrent le lendemain. Nana fit sa reddition d'entrée de jeu. Par contre, Géronimo et Naiche proposèrent au lieutenant Maus de ramener Chihuahua et Johlsannie si on les autorisaient à aller les chercher. Ils lui laisseraient en otages leurs familles respectives et donnaient rendez-vous dans un canyon proche de la frontière de l'Arizona. Ils voulaient y rencontrer Crook, sans que ce dernier soit accompagné d'une escorte militaire.



Le canyon de Embudos


Crook accepta ces conditions et se fit précéder d'un convoi de mules conduit par Tom Horn avec Alchise et Kayaténé, qui venait d'être libéré d'Alcatraz sur la demande de Crook lui-même.Ensuite, emmenant avec lui un petit groupe d'officiers et le photographe de Tombstone, Fly, il alla lui-même à la rencontre des « Hostiles ».

Ces derniers avaient choisi avec soin le lieu de la rencontre et avaient établi leur camp de façon à rendre tout encerclement difficile et de pouvoir fuir rapidement.

 

Le 25 mars, Crook reçut la visite de plusieurs guerriers, les chefs se faisant désirer. Crook nota la parfaite condition physique de ceux ci, le fait qu'ils avaient des fusils du dernier modèle et qu'ils disposaient de beaucoup de munitions. Ils n'étaient cependant qu'une trentaine sur une centaine de fuyards.

Chihuahua, Géronimo et Naiche ne se présentèrent que le 27 après que Crook ait envoyé vers eux Kayaténé et Alchise. Crook avait reçu de Washington des instructions lui prescrivant de ne faire d'autres promesses que celles nécessaires à la reddition. Il proposa aux Chiricahuas une reddition sans condition et annonça aux chefs qu'ils seraient envoyés en Floride. Ces derniers acceptèrent les conditions de Crook, mais demandèrent à n'y rester que deux ans avant de regagner San Carlos et les leurs. Crook accepta cette condition. Elle allait lui coûter fort cher!


Géronimo se livra ensuite à un long plaidoyer pour justifier ses actions Il demanda à Crook de ne pas croire « les mauvais articles de presse écrits sur moi ». et lui dit « les agents et l'interprète apprenant que quelqu'un a commis une faute m'en accusent aussitôt ». Crook, sceptique, l'écouta. Il repartit ensuite pour Fort Bowie, laissant à Maus la charge d'y amener les captifs. Crook lui ordonna de laisser leurs armes aux Chiricahuas pour que ceux ci puissent se défendre contre d'éventuels agresseurs, comptant sur la confiance qu'il inspirait pour les maintenir dans le droit chemin. Il ignorait que Géronimo se méfiait de lui. Le 28 mars, la colonne se mit en marche.



La traîtrise de Tr
ibolet

Le lendemain, la colonne, qui se trouvait encore au sud de la frontière, rencontra un marchand ambulant d'origine suisse dénommé Tribolet. Ce dernier avait en sa possession plusieurs barils de mauvais whisky et ne se trouvait pas là par hasard. Lié au « Tucson Ring », il avait comme mission de provoquer la fuite des Chiricahuas, dont Géronimo était le « maillon faible ».Il avait en effet plus d'une fois trempé dans des affaires louches dont ses « amis » l'avaient à chaque fois tiré. Maintenant, il devait renvoyer l'ascenseur.

Quand ils surent que le trafiquant avait du whisky, Géronimo, Naiche, Chihuahua, Mangas et d'autres filèrent en boire jusqu'à l'ivresse. Tribolet les avertit alors « amicalement » que s'ils revenaient aux États Unis, ils finiraient tous au bout d'une corde de chanvre. A cette nouvelle, Géronimo, Naiche et Mangas s'enfuirent avec une vingtaine de guerriers, treize femmes et six enfants. Chihuahua était alors trop saoul pour les suivre.


Histoire des Chiricahuas (4e partie) : Prisons



01/05/2010
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