L'ours polaire

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Constantinople 1453 : l'héritage




 

Plus de 450 ans après sa chute l'Empire Byzantin continue de fasciner par le côté tragique de son destin et le souvenir de sa fabuleuse richesse. Mais pas seulement...

 

 IX) Héritage 

a) Une Byzance pas si morte que cela!

Quand Constantinople tomba, la civilisation byzantine était en pleine renaissance culturelle et artistique. Cela peut sembler paradoxal... Mais c'est un fait!

Annonciation d'Orhid
Dès après la prise de Constantinople par les Croisés en 1204, Nicée vit affluer de toutes les parties de l'Empire savants, poètes et artistes qui mirent un point d'honneur à marquer leur opposition aux Latins en maintenant vivante la culture byzantine et à la développer envers et contre tout...

Après la reconquête de la ville impériale, les artistes montrèrent un intérêt nouveau pour les paysages et les scènes champêtres ainsi que pour l'antique tradition de la mosaïque qu'ils orientèrent peu à peu vers de véritables panneaux narratifs. La peinture, moins coûteuse que la mosaïque, a alors elle aussi connu une grande expansion, celle des icônes se démarquant de son formalisme pour gagner en humanité et en maniérisme.

Si l'architecture, comme pour d'autres périodes, n'est hélas surtout connue qu'à travers les ouvrages religieux (si l'on excepte le Palais des Despotes à Mistra et celui de Tekfur Saray à Istanbul), elle connaît un nouvel essor en amalgamant à la tradition des influences latines (notamment bourguignonne et italiennes) et en ornant les murs extérieurs des bâtiments de motifs complexes formés de briques ou de céramiques inspirés de l'écriture arabe.

L'influence artistique de Byzance se fait alors sentir sur les Balkans, l'Italie et bien sûr la Russie. La Laocoon
chute de l'Empire ne brisera pas cet essor En Crète, alors possession Vénitienne (1204-1669), affluèrent de nombreux artistes fuyant les Turcs. Ils y maintiendront les traditions artistiques byzantines en y ajoutant des influences occidentales. Certains, tel Domenikos Theotokopoulos, dit "El Greco" (1541?-1614) s'expatrieront pour vivre de leur art en Italie ou en Espagne.

L'art Byzantin se perpétue encore de nos jours dans la peinture d'icône et la décoration des églises orthodoxes et l'architecture "néo-byzantine" connaîtra une grande vogue dans la période 1850-1914.

La vie intellectuelle connaît elle aussi une nouvelle floraison dès Maxime Planudès (1260? - 1305?), moine et diplomate qui rapprochera intellectuels byzantins et occidentaux, avec également l'historien Nicéphore Grégoras (1291-1360) et Manuel Chrysoloras (1355? -1415) qui auront une influence importante sur la naissance de l'Humanisme en Italie. Beaucoup d'intellectuels byzantins n'avaient pas attendu la chute de la ville pour quitter celle-ci. Beaucoup vivaient à Mistra, en Italie... où à Andrinople, à la cour du Sultan!!

Ces hommes correspondaient avec leurs confrères, Perses, Turcs, Arabes, Arméniens, Juifs, Slaves et Latins. Ils avaient avec eux des bibliothèques contenant des livres rares et précieux qui les accompagnèrent en exil. En Italie, ils seront les enseignants qui formeront les maîtres qui éduqueront des gens tels que Leonard de Vinci ou Michel Ange. Ils contribueront aussi indirectement à la Réforme Protestante en amenant dans leur bagage la "Vulgate", la Bible en grec, qui sera comparée aux versions occidentales par les exégètes Italiens. Ils seront bien aidés spar une nouvelle technologie qui permettra une plus grande diffusion du savoir et des livres : la presse à imprimer de Gutenberg, inventée en 1452.

 

b) Politique 

L'héritage politique de Byzance est encore très présent de nos jours dans les Balkans et le Proche et Moyen Orient.

Grande Idée
Le fantasme d'une reconquête de Constantinople hantera la Grèce jusqu'à travers la "Grande Idée" : réunir toutes les populations grecques d'Europe et d'Asie dans un seul et même état avec la ville impériale comme capitale. Le gouvernement grec  croira pouvoir réaliser ce rêve après que l'Empire Ottoman ait été dépecé suite à sa défaite dans la Première Guerre Mondiale aux côtés de l'Allemagne. Mais la guerre (1919-1922) tournera au désastre pour les Grecs après qu'ils soient parvenu à moins de 40 km d'Ankara. Non seulement les ils devront abandonner toute revendication sur Constantinople, les Détroits et l'Asie Mineure, mais les conséquences humaines de cet échec seront considérables comme nous le verront.

Le Sultan Ottoman se considérait comme l'héritier des Basileus Byzantins. Contrairement à ce que certains affirment sur Internet, ils n'ont jamais débaptisé la ville. C'est après la chute de l'Empire et la déposition du dernier Sultan en 1922 par le gouvernement de Mustafa Kemal (1881-1938), issu d'une mouvance nationaliste que se situe le virage.

La guerre de 1919-1922 a été marquée par des atrocités accomplies par les deux camps, animés chacun par un nationalisme fanatique. Les soldats grecs ainsi que des irréguliers grecs et arméniens (ces derniers mus par un désir de vengeance) commirent de nombreux massacres de musulmans dans les régions occupées par l'armée grecque, le pire étant peut être celui de Karatepe où tous les habitants du village furent réunis dans la mosquée que l'on incendia ensuite. Tous ces faits ont été corroboré à l'époque par des diplomates étrangers aussi prestigieux que l'historien anglais Arnold Toynbee (1889-1975), alors diplomate à Smyrne.

L'autre côté n'était pas moins cruel. Outre la poursuite des massacres d'Arméniens, les Grecs du Pont (bord de la Mer Noire) font l'objet d'un "nettoyage ethnique". Dans les premiers mois de 1922, près de 10000 grecs sont tués par les soldats de l'armée kemaliste et 25 février 1922 une vingtaine de villages grecs sont détruits par le feu dans la région; Les humanitaires américains qui tentent de venir en aide aux victimes sont eux-mêmes menacés dans leur vie. Ces massacres révolteront même des Turcs, comme Abubakir Hazim Tepeyran, gouverneur de la province de Sivas, qui déclare en 1919 que les massacres étaient si horribles qu'il ne pouvait le supporter.

Quand en 1921 l'armée Centrale commandée par le général Nurredin Pasha tue plus de 12000 grecs, des députés Turcs du Parlement Turc (la répétition est volontaire!) demandent son jugement et réclament pour lui la peine de mort. C'est l'intervention personnelle de Mustapha Kemal qui entraînera l'abandon des poursuites.

Lorsque les troupes turques de Nurredin Pasha (justement) approcheront de Smyrne, dernière place grecque en Asie Mineure, encombrée de réfugiés grecs et arméniens tentant de fuir la ville par mer, Mustapha Kemal ordonnera aux soldats de ne pas molester les non-combattants sous peine de mort. Son ordre sera largement ignoré et la prise de Smyrne sera marqué par de nombreux massacres et l'incendie de la ville (sans que l'on sache de façon certaine qui l'a allumé).

Le traité de Lausanne signé le 24 juillet 1923 entre la Turquie, les puissances occidentales et la Grèce ajoutera la bêtise à la cruauté. S'il reconnaît la Turquie dans ses frontières actuelles, il comprend en effet un "échange de populations" entre la Grèce et la Turquie. Les "Grecs ottomans", soit plus d'un million et demi de personnes doivent quitter leurs maisons sans espoir de retour pour la "Patrie Grecque".

Dans l'autre sens, près de 400000 Musulmans de Grèce doivent abandonner les lieux où ils ont toujours vécu pour la "Patrie Turque".

Sommet de la stupidité, le critère pour l'identification des "Grecs" et des "Turcs" a été la pratique religieuse. Si vous étiez chrétien orthodoxe, vous étiez fatalement un grec. Et si vous étiez un musulman, évidemment un turc. Cruelle ironie supplémentaire, tandis que les "grecs" chassés de Turquie furent pris en charge par le gouvernement grec d'alors, les "turcs" expulsés ne trouvèrent aucun secours en Turquie!

Pour en revenir au critère religieux, il y a quelques années, un ethnologue et linguiste turc fit une découverte qui faillit tout droit l'emmener en prison : il avait trouvé dans les montagnes bordant la Mer Noire des communautés villageoises musulmanes dont les membres communiquaient entre eux... en Grec! L'explication de ce fait est simple : de même qu'un Turc pouvait être chrétien orthodoxe (et donc expédié en Grèce), un grec musulman pouvait se trouver lui aussi exilé en Turquie, acquérir la nationalité turque... et continuer à parler grec! Mais depuis, par crainte d'attirer sur eux la violence des extrémistes, ces gens se refusent à parler grec à quiconque et se montrent très discrets et prudents : on peut les comprendre!

Tout aussi dramatique sera le destin des derniers "Roums" de Constantinople. Entre 1453 et 1915, ils vécurent paisiblement au sein de la Capitale de l'Empire Ottoman, même s'il y avait de temps à autres des tensions, notamment lors des conflits avec la Grèce (1821-1830, 1897, 1912-1913), certains riches "Grecs" du Phanar finançant par exemple la Guerre d'Indépendance Grecque. Ils fournissaient d'ailleurs aussi à la Sublime Porte des fonctionnaires appréciés qui pouvaient occuper de hauts postes dans l'administration Ottomane.

En 1920, on en comptait encore 120000, puis 100000 en 1927, la population grecque de Constantinople étant "préservée" par un article du traité de Lausanne qui lui permettait de vivre sur place. En 1955, ils étaient 135000 quand la nouvelle de l'explosion d'une bombe le 5 septembre dans le consulat turc de Thessalonique, qui était aussi la maison natale de Mustafa Kemal. L'enquête révélera assez vite que toute l'opération avait été orchestré par des extrémistes nationalistes turcs bénéficiant de très hautes complicités, y compris dans l'organisation du pogrom sanglant dont furent alors victimes non seulement les Grecs de Constantinople, mais aussi les Arméniens et les Juifs. S'il n'y aura "que" douze morts, les destructions, les humiliations et les violences feront que la population des "Roums" tombera à 7000 personnes en 1978 et à 2500 en 2006. La raison de ce pogrom apparaît nettement si l'on sait qu'en 1955 près de 40% de la surface d'Istanbul était la propriété foncière de membres appartenant aux différentes minorités de la ville. La crise chypriote et les hostilités entre Chypriotes grecs et turcs sur cette île alors colonie britannique (1914-1959) offre un prétexte tout trouvé. Par ailleurs, ce pogrom fut plus le fait de militants nationalistes turcs amenés d'Anatolie par cars que des Turcophones de la ville qui s'entendaient plutôt bien avec les hellénophones de la ville. Le choix offert aux derniers "Roums" d'Istanbul était alors fort clair : 20 dollars en argent, 20 kilos sur le dos et dehors!

Encore aujourd'hui, ceux qui restent, avec une moyenne d'âge de soixante ans, gênent les ultra-nationalistes et les Islamistes Certains des derniers Roums d'Istanbul
radicaux. La police turque a déjoué ces derniers années plusieurs tentatives d'assassinat contre le Patriarche Orthodoxe de Constantinople. Sa mort serait en effet du plus mauvais effet pour les relations internationales de la Turquie, car s'il reste peu d'orthodoxes dans la ville même, l'influence du Patriarcat sur le monde Orthodoxe reste considérable en Europe, dans les Amériques et en Australie. Ajoutons que les "Grecs" d'Istanbul n'ont pas la nationalité Turque (qu'ils réclament).

Terminons sur un mode plus léger : Constantinople a été officiellement baptisée "Istanbul" en 1930 pour en "turquiser" le nom... Las, ce nom tire son origine du... grec! Ce nom viens en effet de la phrase "is ten Polis" que prononçaient les Hellénophones qui s'y rendaient aux douaniers Trucs : "Je vais à la ville". Bien entendu, un Turc nationaliste vous assurera que cela vient en fait de l'expression turque "Islam Bol" ("Là ou l'Islam abonde")!

 

c) Histoire, archéologie et patrimoine.

Il peut paraître étrange de révéler ici que ces domaines à priori "neutres" ont subi l'influence des événements... et pourtant!

L'historiographie byzantine a connue une grande vogue en Occident lors de la constitution des grandes monarchies absolutistes. Louis XIV, par exemple, était un fin connaisseur de l'histoire de cette période.

Mais à partir de l'époque des Lumières et de la critique de l'Absolutisme, l'Empire Romain d'Orient devient l'objet de la détestation unanime des philosophes de l'époque. Plusieurs exprimèrent l'idée qu'après la mort d'Auguste en 14 après Jésus Christ, l'histoire romaine était "méprisable". Pour d'autres l'art de la mosaïque que les Byzantins avaient porté très haut était "un art méprisable digne d'esclaves"! L'expression "Bas-Empire Romain" pour parler de l'histoire romaine après 235 de notre ère et très révélatrice de ce mépris, à tel point que l'on préfère aujourd'hui parler de "L'Antiquité Tardive"

Boukoleon Palace

 

On se s'étonnera donc guère qu'en 1873 toute une partie de l'ensemble palatial du Boukoleon (5e-10e siècle) à Istanbul ait été rasée pratiquement sans relevé de fouilles pour creuser la tranchée destinée à amener le chemin de fer au cœur de la ville.

De même, le site de l'ensemble palatial connu sous le nom de Blachernes (6e-14e siècle) n'a jamais fait l'objet de recherches, alors que la zone est actuellement le lieu d'un véritable "boom" immobilier.

Ce n'est paradoxalement qu'avec l'éveil des nationalités que changera la donne. Historiens Serbes, Grecs, Bulgares, Russes, Albanais, Arméniens se rendront vite compte que pour avoir des faits historiques concernant les origines de leurs peuples le passage par les textes  "Byzantins" était un passage obligatoire.

L'Europe Occidentale restera longtemps à la traîne. Né en 1960, je me souviens qu'au collège on abordait l'histoire de l'Empire Romain d'Orient sous le seul règne de Justinien (527-565). Il disparaissait ensuite pour ne reparaître que sous forme de brèves mentions lors de l'expansion arabe, des Croisades et bien évidemment de la chute de Constantinople.

Si, comme cela est évident, l'Empire Byzantin est bien couvert en Grèce -quoique de façon peu impartiale (évidemment)-, la façon dont les manuels scolaire en parlent en Turquie est plutôt... enfin... étrange. Si ceux ci traitent des civilisations anatoliennes antique et décrivent (ce qui est normal) la longue pérégrination qui a conduit les Turcs des frontières chinoises à Vienne,  ils passent complètement sous silence la période gréco-romaine! Un peu comme si les Turcs débarquaient dans une Anatolie dépeuplée...

Il y a fort heureusement de la réaction de la part des historiens turcs. Ce sont eux qui dirigent l'essentiel des fouilles organisées pour ces périodes à Istanbul et ailleurs. Ce sont eux qui ont accueilli à Istanbul une exposition montrant une reconstitution des monuments byzantins de la ville. Organisé par "Byzantium 1200" ( Vers le site Byzantium1200 (eng)), elle recevra la visite de nombreux Stambouliotes (Turcs) curieux de connaître l'aspect de leur ville à l'époque byzantine. De même, les archéologues turcs s'inquiètent fort de la sauvegarde des restes du Palais du Boukoleon, des vestiges dégagés du Grand Palais (creuser en milieu urbain huit mètres sous le sol actuel n'est pas une mince affaire!) et de ceux des Palais des Blachernes ou de l'antique aqueduc dit de "Valens" (4e-17e siècle) sont dans un état préoccupant.

Palais de la Magnaure
La plupart des problèmes dans le domaine archéologique , outre les difficultés de mener des fouilles dans une métropole très active, (comme la perpétuelle "restauration" du Palais de la Magnaure") viennent d'un nationalisme imbécile comme l'illustre le projet de reconstruire une "caserne de janissaire" (en fait une zone commerciale) sur un site (Tophane) où les archéologues (turcs) ont retrouvé d'importants vestiges byzantins remontant au 6e siècle (qui seront inévitablement détruit). Le pire, c'est que de toute façon, en raison de l'existence d'un périphérique, ladite caserne de janissaire qui a vraiment existé à cette endroit ne pourra jamais être reconstruite avec ses dimensions passées!

Pour en revenir aux Grecs, notons qu'ils n'ont pas de leçons à donner aux Turcs : pendant longtemps l'héritage archéologique et architectural Ottoman sur leur sol national a été négligé, défiguré ou détruit : pas de quoi se poser en donneur de leçon!

 

c) Légendes 

La chute de Constantinople donna naissance à plusieurs légendes.

Ainsi, l'on raconte que quand les Turcs brisèrent les portes de Sainte Sophie, le prêtre qui y officiait vit le mur derrière lui s'entrouvrir. Il s'engouffra dans la brèche avec le saint calice et disparut. Il est censé revenir reprendre son office là où il avait été interrompu quand un souverain orthodoxe reviendra dans la "Grande Eglise".

Livre sur Constantin XI
Toutefois, la plupart des légendes concernent bien entendu Constantin XI. Ainsi, l'une d'entre elles raconte que le Basileus a été sauvé au dernier moment des Turcs par des anges venus du ciel. L'empereur aurait été placé par leurs soins dans une grotte situé sous la Porte d'Or (Golden Gate), transformé en statue de marbre. Là, il attendrait le jour où la ville pourrait être reconquise sur les Turcs. Ce moment venu, il reprendrait forme humaine et conduirait les combattants (chrétiens orthodoxes, bien sûr) à la reconquête de la ville.

 

On retrouve la trace de Constantin XI dans le roman contemporain de l'écrivain Selçuk Atun. Ce Couverture Turque du "Sultan de Byzance"
dernier imagine dans "Le Sultan de Byzance" que loin de mourir au combat, Constantin XI est parvenu à fuir la ville pour se réfugier à l'étranger. A sa mort (en 1473), il charge une organisation secrète le "Nomophilax" de protéger ses descendants jusqu'à ce que l'un d'eux redevienne Basileus. 

"De nos jours, Asil, un enseignant de l'Université du Bosphore rencontre un membre du Nomophilax, Nikos Askaris, qui lui apprend qu'il descend des Paléologues. Asil accepte de se soumettre aux règles du Nomophilax et part à travers le bassin méditerranéen jusqu'au British Museum sur la piste d'un incroyable secret"

 

En manière de conclusion... temporaire


Constantinople est toujours rituellement conquise tous les 29 mai par des figurants costumés en janissaires. Ils s'élancent cimeterres à la main par la porte de Belgrade. En face d'eux, aucun adversaire, mais des spectateurs qui les applaudissent et les photographient. On a l'impression quelque part que les Turcs cherchent à se rassurer, qu'ils veulent être certains qu'ils ont bien pris la Ville... alors que c'est peut être celle-ci qui les a pris.

Quand les premiers Turcs sont entrés en Asie Mineure, ils étaient largement minoritaires parmi des populations hellénisés et christianisés de longue date. La conversion de ces populations à la langue turque et à la religion musulmane ne sera que progressive : pas avant le 13e siècle pour l'Anatolie Centrale, pour le reste de l'Asie Mineure pas avant la fin du 14e siècle, et pour Istanbul et sa région, pas avant 1453.

Ces dates ne doivent rien au hasard : les "croisés" de la Quatrième Croisade s'emparent de Constantinople en 1204, ruinant tout espoir d'une reconquête de l'ensemble de l'Asie Mineure par les Basileus. L'incapacité des Paléologues à défendre les territoires byzantins dans l'ouest de l'Anatolie est sanctionnée par le désaveu des populations qui espéraient être protégés par eux et qui se sont senties abandonnées.

Dans les veines et dans les gênes de bien des Turcs actuels se trouvent les traces de ce passé hellène et chrétien.

De l'autre côté, les Très Chrétiens Basileus ne se privaient pas d'utiliser pour leurs armées des mercenaires musulmans -et notamment des Turcs- au grand effroi des Croisés Occidentaux. Une colonie musulmane -avec mosquée- est attestée dans la ville impériale dès le 11e siècle sous la dynastie Macédonienne (867-1056). En 1042, on voit ses membres participer à l'émeute populaire qui éclata pour défendre l'impératrice légitime Zoé Porphyrogénète (1028-1050) de la tentative avortée d'usurpation de Michel V le Calfat (1041-1042). Et elle existait encore en 1453 malgré les aléas de l'histoire et de la politique.

Entre la Grèce et la Turquie, entre l'Occident et l'Orient, entre l'Europe et l'Asie, Byzance-Constantinople-Istanbul a toujours été plus un trait d'union qu'un champ de bataille.

Si l'on parle beaucoup de la prise de la ville en 1453, parle t-on des échanges culturels entre Byzantins et Musulmans? Parle t-on de la cohabitation de chrétiens orthodoxes avec des musulmans?

La réponse est hélas évidente...

Pourtant, au-delà des conflits politiques, des "Loups Gris" Turcs ou des néo-nazis de "L'Aube Dorée", qui auraient été incompréhensibles pour Mehmet II et Constantin XI, de plus de Turcs comprennent que ce passé est sinon le leur, du moins mêlé au leur. De même que de plus en plus de Grecs comprennent que leur histoire implique de ne pas faire table rase de la longue occupation Ottomane de leur pays (1460-1830 environ).

Mehmet II et Constantin XI ne se sont jamais rencontrés, ni même certainement vus. Du moins, du vivant du second. Pourtant, peut être se sont-ils réincarnés dans ce vieux "roum" du Phanar qui soutient une discussion animée avec un vieux turc en sirotant leur café sur une terrasse? Ou rôdent ensemble sur les vieux remparts de Théodose?

Bien malin qui peut le dire! 

 

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20/01/2014
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